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et mis à terme par les trois journées. Prenez donc conseil du passé, ministres du roi de juillet, et que l’histoire, sur laquelle vous avez si savamment médité, vous serve à quelque chose ?

Sans doute les applaudissemens et les acclamations ne manqueront pas, dans le premier moment, au ministère qui portera sur la Charte sa main sacrilége. On lui dira qu’il a sauvé la société ; il aura fermé l’abîme des révolutions, il aura bien mérité de la patrie, et la majorité lui décernera ce triomphe banal et grossier que les majorités accordent à tous les pouvoirs qui flattent ses passions. Mais le directoire l’a eu aussi ce triomphe en son temps ; mais le consulat l’a eu à son tour aux dépens du directoire, après le 18 brumaire, et encore au 3 nivôse où la machine infernale lui ouvrit le chemin de l’empire et du pouvoir absolu. Où est l’empire ? Quel ministère violent et réactionnaire n’a passé par les actions de grâces et les adulations des partis ? Et M. de Villèle, et M. de La Bourdonnaye, et M. de Polignac ! Aussi, n’est-ce pas au ministère que nous nous adressons, mais plus haut, mais à la royauté. La royauté a résisté avec persévérance au parti qui voulait la pousser rapidement en avant ; sera-t-elle moins prudente, moins forte devant celui qui veut la traîner en arrière, où il y a aussi plus d’un abîme ? Le jour de l’attentat, on entendait dire au château, à un homme qui exerce une certaine influence dans le cabinet : « C’est cette malheureuse cour de cassation qui a causé tout le mal que nous voyons ! » Voilà le point de vue de ce ministère ! Si l’on eût fusillé paisiblement, si l’on eût déporté sans obstacle, pendant l’état de siége, tout ce qui tient à la presse, tout ce qui exerce une influence directe sur l’opinion, le pays eût été sauvé, selon lui. Un pays constitutionnel, sauvé par des conseils de guerre et par des coups de fusil, ressemble déjà beaucoup à un état despotique ; mais c’est là sans doute ce qu’on veut.

Nous le répétons, l’occasion est belle, et le ministère, de qui l’on peut tout attendre, peut aussi tout oser. En des circonstances semblables, les énergumènes de tous les régimes, les esprits serviles et bas qui ont passé leurs beaux jours, à deux genoux, dans les antichambres impériales ; les hommes qui ont figuré dans les cruelles et insatiables majorités de la restauration ; ceux qui demandaient des proscriptions en 1815, des échafauds et des lois de censure en 1820, des ordonnances au lieu de Charte, et des fusillades en 1830 ; tous ces éternels soutiens et ces instrumens de perte des mauvais gouvernemens, reparaissent avec les mêmes paroles qu’ils ont jetées chaque fois que les luttes politiques ont recommencé avec quelque violence. C’est là le malheureux sort des gouvernemens en France, livrés sans cesse aux attaques de cette nombreuse classe