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contre les catholiques et les protestans, et que Luther arrachait au catholicisme usé d’abus pour la confisquer et l’enrégimenter au profit du protestantisme ?

Ce serait un sot propos que de vouloir rabaisser Luther ; c’est un nom sacré dans une bonne partie de l’Europe, c’est un grand nom partout. Mais, dans l’histoire, on fait la part trop belle aux hommes de passion et d’action, et on la fait trop petite aux hommes tempérés, moyens, qui ont vu les extrêmes, et s’en sont gardés par conviction et bonne conscience encore plus que par timidité, laissant faire aux hommes passionnés l’œuvre du jour, et se réservant, eux, pour l’œuvre de tous les temps, je veux dire le perfectionnement moral de l’humanité. Je vois beaucoup d’ardeur de sang, d’ambition, d’égoïsme, de mépris des hommes, dans la plupart de ceux qui jouent les grands rôles ; je vois, au contraire, beaucoup de sens, de désintéressement, de sympathie, et, je le répète, plus de motifs d’honnêteté que de peur dans la plupart de ceux qui se tiennent à l’écart, ou qui se résignent aux seconds rôles, parce qu’ils y peuvent rester vrais avec eux-mêmes et avec les autres. Que pouvait faire, au temps d’Érasme et de Luther, un homme droit, sincère, éclairé, sinon s’abstenir, ou bien ne parler que pour les lettres et la tolérance qui allaient être écrasées un moment dans la lutte des deux partis, mais qui devaient survivre aux vainqueurs comme aux vaincus ? Pourquoi le blâmeriez-vous de ne s’être point passionné et d’avoir gardé sa conscience dans l’emportement des partis ? Pourquoi lui demander, au nom de la philosophie de l’histoire, c’est-à-dire au nom d’une loi que vous imaginez trois siècles après l’évènement, qu’il comprît que le mal est gros du bien et qu’il faut que l’homme sage se mêle aux déchiremens des sectes, s’affuble de leurs passions, et se barbouille du sang qu’elles font répandre, s’il veut hâter la venue de la tolérance ? Cela nous est commode à nous de faire la synthèse du passé, et de dire : Le protestantisme devait enfanter la philosophie du xviiie siècle, et celle-ci les deux révolutions de 89 et de 1830 : donc les hommes supérieurs, les hommes de l’avenir devaient être protestans ! Oui, peut-être pour le drame de l’histoire ; non, pour sa moralité dernière. Au drame appartiennent les passions, la violence, les masses soulevées, les