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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/395

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ÉRASME.

bulles déchirées en place publique, les héros moitié sérieux, moitié grotesques, les fous sublimes ; à la morale appartient le bon sens, la tolérance, l’homme sain et équitable qui ne fait pas un mal immédiat pour un bien ajourné à deux siècles, qui ne tire pas l’épée pour une paix problématique, qui ne brûle pas les villes pour que ses neveux les rebâtissent, qui n’a pas cette funeste prévoyance de nos égorgeurs de 93, lesquels se vouaient à l’exécration pendant dix siècles pour être réhabilités et divinisés au onzième. Les hommes de passion font les scènes de l’histoire ; les hommes de sens en font la morale. Or, qui dure le plus, des scènes de l’histoire ou de la morale ? Je veux bien que les hommes de passion soient ceux de l’avenir, mais accordez-moi que les hommes de sens sont ceux de la durée et de l’éternité.

Pour sortir de ces choses générales, long-temps avant que Luther n’éclatât, que dis-je ! pendant que Luther, commençant par où commencent la plupart des hommes passionnés, c’est-à-dire par adorer ce qu’il devait brûler plus tard, se signalait à l’université de Wittemberg par la fougue de son zèle pour le catholicisme d’Alexandre vi et de Jules ii, Érasme avait déjà touché à tous les points de croyance par où les protestans devaient se séparer de la mère-église. Vous savez en quels termes il parlait des moines. Dès le commencement du xvie siècle il donnait du monachisme cette ironique définition : « Le monachisme n’est pas la piété, mais un genre de vie utile ou inutile, selon le caractère ou le tempérament de chacun ; je ne vous conseille ni ne vous dissuade de l’embrasser[1]. » Il critiquait le culte rendu aux saints ; il se moquait des prières que faisaient les simples à saint Christophe, pour éviter un accident mortel ; à saint Roch, pour n’avoir pas la peste ; à sainte Appoline, pour être guéris du mal de dents ; à Job, contre la gale ; à saint Hiéron, pour retrouver ce qu’ils avaient perdu. S’il n’allait pas jusqu’à vouloir qu’on détruisît les statues et les tableaux, « qui sont les principaux ornemens de la civilisation, » il désirait qu’il n’y eût rien dans les églises qui ne fût digne du lieu. « Je ne désapprouve pas l’invocation des saints,

  1. Enchiridion militis christiani, etc.… C’est une sorte de manuel du chrétien.