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ÉRASME.

éclairés, tous les prêtres honnêtes gens de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France. Restait la papauté, à laquelle Érasme n’avait pas voulu toucher, malgré le scandale récent des indulgences, soit qu’il prévît qu’une attaque au saint-siége changerait en schisme une polémique inoffensive, soit que les papes, en le louant démesurément de ce qu’il écrivait en faveur des principes de l’unité religieuse, eussent lié sa langue et sa plume sur les abus qu’on en faisait dans l’application. Quoi qu’il en soit, sauf quelques allusions sévères à la manie belliqueuse de Jules ii, Érasme avait toujours tenu la papauté en dehors de la discussion. L’œuvre des hommes de plume et de cabinet était accomplie. C’était aux hommes d’action et de main à engager la bataille et à faire intervenir les masses populaires dans un débat qu’Érasme avait voulu circonscrire aux hommes éclairés et compétens. Était-ce lâcheté, hypocrisie, jalousie de réformateur mitigé contre des réformateurs emportés et violens ; était-ce inconséquence, comme le lui reprochèrent amèrement les protestans ? Je ne veux pas faire d’Érasme un brave ; mais l’homme qui tenait tête à tous les moines de l’Allemagne et de la France, l’homme qui, après la bataille de Pavie, osait demander à Charles-Quint, empereur de trente ans, victorieux, flatté dans toutes les langues, la liberté de son prisonnier le roi de France ; cet homme-là n’était pas un lâche : il n’avait pas tous les courages, mais il avait le courage de ses convictions ; il risquait jusqu’où il croyait ; mais où il cessait de croire, il cessait d’être ce qu’on appelle courageux, comme le sont les hommes de passion, c’est-à-dire aveuglément, avec superfluité, par l’effet du sang plutôt que de la raison, et souvent à la suite, par la contagion de l’exemple. La plus belle espèce de courage, c’est celle qui est le plus appropriée à l’entreprise pour laquelle on la déploie, qui ne reste pas en-deçà, mais qui ne s’égare pas au-delà, où il n’entre que de la raison et point de cet emportement du corps qu’on excite chez les êtres vulgaires avec des liqueurs fortes, de la musique ou des harangues ; c’est ce courage-là que j’admire dans Érasme : ce qui ne veut point dire d’ailleurs qu’on ne le puisse trouver à un plus haut degré dans d’autres hommes qui voulaient aller plus loin que lui.

Naturellement, l’attention de la république chrétienne fut tout