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d’abord partagée entre Érasme et Luther. Les hommes ardens se précipitaient sur les pas de Luther ; les hommes modérés restaient autour d’Érasme, ne quittant pas le terrain du blâme prudent et des vœux pacifiques. Les plus sincères, dans les deux camps, désiraient que ces deux hommes s’entendîssent, afin de se modifier et de se compléter l’un par l’autre, Luther par un peu de la modération habile d’Érasme, Érasme par un peu de l’audace de Luther. Les alarmistes, effrayés tout d’abord de l’impétuosité de Luther, et assez bons juges, comme l’est quelquefois la peur, de la portée de ses attaques, assiégèrent Érasme de scrupules sur cette apparence de concert entre Luther et lui. Les moines, et tout ce qui vivait d’abus, exagérèrent ce concert, le supposant plus complet et plus durable qu’il ne pouvait être ; quelques-uns faisaient naître Luther d’Érasme, et représentaient le premier comme un instrument vulgaire soufflé par le second. Érasme sut résister à toutes ces instances si diverses. Il resta dans son vrai rôle, qui était d’approuver Luther attaquant les abus au nom de l’unité catholique, mais avec de sages réserves sur sa manière un peu tumultueuse et sur ses avances vers le peuple qu’Érasme voulait éloigner des débats. Ce rôle n’était pas sans difficulté au milieu de toutes ces persécutions, de toutes ces amitiés également exigeantes, qui n’y trouvaient point leur compte, et que fatiguait l’opiniâtre indépendance d’Érasme. J’appelle cela encore du courage, non du plus brillant sans doute, ni du plus populaire, et qui figure rarement dans les histoires, mais qui honore l’homme, et qui lui est sans doute compté devant Dieu au jour de l’appréciation finale des œuvres de chacun. Il y avait d’autant plus de mérite à un tel homme de se garder de tous ces tiraillemens, et de rester vrai avec lui-même, que, de l’aveu de tous les partis, Érasme pouvait faire pencher la balance du côté où il se rangerait, et emporter d’emblée la réforme s’il lui prêtait l’aide de sa plume si populaire et le crédit de son immense considération.

C’est ce que sentit Luther tout le premier. Avant même qu’il fût bien fixé sur la nature de son œuvre, et qu’il eût rompu avec le chef visible de l’unité catholique, il songea tout à la fois à s’aider et à s’honorer d’un si puissant auxiliaire, et il écrivit à