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ÉRASME.

relle, il nécessitait l’ouverture de diètes et de conciles, où toute la force de l’église existante se mesurât contre l’hérésie de ce moine. Érasme était assailli plus que jamais des scrupules et des questions de ses amis. Les uns cherchaient à piquer sa vanité : « Pourquoi tardait-il à se faire le champion du catholicisme ? Lui seul pouvait mettre Luther et ses doctrines au néant ; lui seul était plus puissant que les bulles papales et les conciles. » Les autres lui opposaient ses professions de foi : « N’était-ce donc que mensonges et précautions oratoires ? Était-il chrétien de cœur ou de bouche, et s’il l’était de cœur, que ne le montrait-il donc en se levant contre Luther ? » Les moines vociféraient de plus belle : « Évidemment, il approuve ou souffle ce qu’il ne veut pas attaquer. » Du côté des partisans de la réforme, dont plusieurs étaient de ses amis, il avait d’autres luttes à soutenir. « Que ne prêtait-il à Luther l’autorité de ses écrits si populaires ? que ne réglait-il la fougue du moine de Wittemberg par ses manières conciliantes et sa polémique mesurée ? L’audace de l’un tempérée par la prudence de l’autre emporterait la question de la réforme. » Toutes ces influences se disputaient le pauvre Érasme. C’est l’habitude des partis de ne pas supporter l’hésitation et l’indépendance. Ils ne comprennent que ce qui est pour eux ou contre eux ; ils n’aiment pas voir au milieu un homme supérieur, qui, au moment de la bataille, peut la faire gagner là où il se porte, et se porter là où il est le moins attendu. Ils ne veulent rien laisser sur leurs derrières. Érasme s’épuisait à expliquer sa non-intervention. Il avait à tenir tête à une foule d’amis plus embarrassans que des ennemis ; outre un ennemi plus fort que tous les autres, l’ivresse bien naturelle de son importance, cette gloire dont il conseillait à Luther de se méfier, « et qui vient nous troubler, disait-il, jusque dans nos études de piété. » Il passa ainsi cinq années, de 1519 à 1524, au milieu de ces luttes intestines contre ses amis, contre ses ennemis, contre lui-même, tâchant de maintenir son indépendance et la vérité de sa nature contre toutes les tentations du dehors et du dedans, assistant lui-même comme témoin à la querelle où il n’avait pas voulu prendre de rôle, faisant tantôt des vœux pour Luther quand les moines reprenaient confiance, et relevaient en espérance le bûcher de Jean Hus ; tantôt pour la paix et l’unité chrétienne, quand les