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c’étaient toujours des idées de paix, de morale chrétienne, de réforme amiable ; il n’avait apostasié que pour le ton de ses écrits, jusque-là doux et tempéré ; il ne voulut pas apostasier pour son indépendance ; il ne se prononça pas ; il demeura fidèle à la philosophie chrétienne, laquelle devait survivre à tous les dogmes chrétiens.

Érasme était-il plus protestant que catholique, ou plus catholique que protestant ? Car demander s’il fut tout-à-fait l’un ou l’autre, serait une naïveté. Ce qu’on peut répondre à cette question, c’est qu’il eut peut-être un peu plus de superstition que de religion, et un peu plus de religion que de scepticisme. Vous l’avez vu attribuant à sainte Geneviève la grace d’avoir survécu aux œufs pourris et aux chambres malsaines du collége de Montaigu ; vous l’avez vu faisant vœu d’achever un commentaire de l’Épître aux Romains, si saint Paul le guérit d’une chute de cheval : en d’autres circonstances, il aura quelque peur vague du démon ; il racontera des histoires d’exorcismes du ton d’un homme qui croit un peu aux possédés ; il aura sur l’ennemi du genre humain cette espèce de doute curieux et inquiet que nous avons sur l’infaillibilité divinatoire des somnambules. Quant au dogme pur, le dogme protestant, né d’hier, qu’il avait vu sortir de cerveaux montés ou malades, ce fruit de tant de choses bonnes et mauvaises, de besoins sérieux et d’ambitions vulgaires, de la science et de l’ignorance, des hommes d’élite et des masses aveugles, de l’esprit et de la chair, de la raison et de la folie, il ne le prenait même pas au sérieux ; il voulait encore moins d’une religion fabriquée de son temps par des brouillons (nebulones), que de la foi, exploitée et tournée en marchandise, des catholiques romains. Le dogme catholique, au contraire, se recommandait à ses respects par l’ancienneté, par la tradition, par une longue possession des intelligences ; s’il en doutait quelquefois par l’esprit, il y croyait par le sentiment et par l’habitude. Si, d’une part, il ne pouvait se défendre, en suivant successivement ce dogme dans les augmentations ou altérations qu’il avait subies depuis son établissement, de remarquer que ce n’était pas l’œuvre de Dieu seul, s’il sentait sa haute raison fléchir vers l’incrédulité, quand il lui arrivait de regarder dans le christianisme au-delà de la morale et du précepte