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J’avais pris les devans sans m’en apercevoir, impatient de faire halte à la casucha ; la route la plus courte me parut la meilleure, je coupai en droite ligne, tandis que mes compagnons s’efforçaient de se maintenir dans un sentier difficile. La cabane s’élevait à quelques milles seulement derrière une élévation prolongée comme un sillon à travers le défilé ; il n’y avait donc plus qu’à descendre pour l’atteindre. La pente du terrain m’entraînait rapidement, et j’étais à mi côte environ quand je m’entendis appeler à haute voix. On me faisait signe de rétrograder, de remonter cette ladera, et de prendre un détour d’une lieue au moins. Sans avoir égard à cet avertissement, je continuais plus vite encore, quand les guides se déterminèrent à m’expédier un des péons sulto, c’est-à-dire sans charge ; la troupe s’était arrêtée, évidemment dans l’intention de m’attendre. — Patron, vous ne passerez pas par là, me dit Juan, il faut retourner là-haut. — Et pourquoi ? — Ce que vous voyez devant vous, bombé comme le toit d’une église, c’est la rivière ! — Mes forces étaient presque épuisées, j’aimais mieux m’exposer un peu que de gravir de nouveau cette haute colline dont je mesurais l’élévation d’un œil découragé ; en effet, j’entendais gronder le torrent sous ce pont de glace, et une large fissure laissait voir l’écume de ses flots à une certaine profondeur ; car telle était l’épaisseur des neiges, qu’il fallut, pour y puiser de l’eau, attacher la chaudière à l’extrémité d’une couverture. Cependant il y avait lieu de penser que cette masse congelée résisterait au passage de toute une armée ; la seule difficulté était de franchir l’espace ouvert, et de placer son pied sur quelque chose de solide. Dans plusieurs endroits, le torrent tendait à se déborder, et soulevait à grand bruit de larges blocs de glace. Je passai facilement, mais seul ; les péons ne voulurent jamais consentir à me suivre. Telle est la routine de ces guides, qu’ils ne songèrent même pas à raccourcir leur marche d’une heure, et m’adressèrent de graves reproches. Mais j’avais gagné de longs instans d’un repos précieux, et le feu brillait dans la casucha quand ils arrivèrent. De toute leur vie de vaqueano, ces pauvres diables n’avaient peut-être jamais vu un hiver aussi rigoureux.

Les casuchas sont de petites maisons en bruyère, de huit pieds sur dix à peu près, mais très hautes, sans doute pour empêcher