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PASSAGE DES ANDES.

qu’elles ne disparaissent sous les avalanches. Elles furent construites autrefois par le gouvernement espagnol pour servir de retraite et d’abri aux courriers royaux. On les trouve de cinq en cinq lieues ; quelquefois même elles sont plus rapprochées, selon la nature du chemin à parcourir. Les courriers seuls en avaient la clé ; on y déposait des provisions de bois, de viande sèche, de biscuit, assez considérables pour qu’un voyageur y put vivre confortablement pendant toute la durée des plus longs orages ; car ce qui rend si dangereux le passage des Andes en hiver, ce n’est ni le froid, ni les précipices, mais bien le manque de vivres et de combustibles auquel on est exposé. Réduit à porter sur ses épaules et ses bagages et les choses de première nécessité, le voyageur ne peut guère être assez abondamment pourvu, lorsqu’il est surpris par un de ces temporales (ouragans), pendant lesquels il est impossible de faire un pas. Ces ouragans sont fréquens dans la mauvaise saison, et se prolongent même jusqu’au printemps ; quelquefois, dix jours, trois semaines se passent sans que le malheureux confiné entre les quatre murs de la casucha puisse continuer son voyage. Quelle position horrible, quand les vivres s’épuisent ! Aujourd’hui les cabanes n’offrent plus qu’un abri pour la nuit ; les portes, les fenêtres, ont été brûlées par les muletiers ; jamais on ne les a remplacées depuis ; l’hiver avait été si subit cette année-là, que des voyageurs, après avoir vu périr toutes leurs bêtes de somme, et perdu les charges dans les précipices, n’eurent d’autre ressource que de se chauffer avec l’aparejo, espèce de bât, doublé de paille, qui se place sur le dos des mules dans ces contrées. Les ossemens de ces animaux nous servirent plus d’une fois à alimenter notre feu ; mais la plus grande incommodité de ces toits de bruyère est la fumée, qui ne trouve pas d’issue ; les ouvertures nombreuses, les fissures des murailles déterminent des courans d’air insupportables, et le plus souvent on se voit contraint d’allumer le feu en plein air, quitte à venir de temps à autre se réchauffer les pieds.

Le soleil ne reste que sept à huit heures sur cet horizon borné de toutes parts par des montagnes. La nuit était très noire, malgré le reflet de la neige ; la rosée, si abondante sous ces latitudes, est remplacée là par un brouillard compacte qui s’abaisse rapidement dès le crépuscule. Il y avait parmi la troupe une démoralisation et