Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/512

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
504
REVUE DES DEUX MONDES.

— « La mort ! la mort ! s’écria M. de Sesmaisons ; il faut atteindre les grands coupables. Donnez le tiers de l’amende aux complices révélateurs. » — « Il faut les frapper comme des parricides, s’écria M. Boin, s’il y a eu commencement d’exécution. » Sommes-nous en 1815 ou en 1835 ?

Ces idées prévalurent quelque temps contre la presse. Dès 1817, on en était fatigué. Les opinions de la chambre ardente étaient flétries comme l’expression d’une réaction sanglante ; tous les bons esprits revenaient à l’idée de la liberté de la presse, comme condition indispensable du système représentatif. Une loi fut présentée en 1818, par M. Pasquier, pour régler les conditions de la liberté d’écrire. Les idées en étaient peu avancées ; on n’admettait encore ni le jury, ni l’indépendance des journaux ; on réglait seulement les formes de procédure et la pénalité. Au reste, cette pénalité était peu rigoureuse, car les amendes au maximum n’allaient pas à plus de cinq mille francs, et à un emprisonnement de plus de deux ans.

Le véritable progrès dans l’exercice du droit de la pensée doit être reporté à la loi du mois de mai 1819, sous le ministère Gouvion Saint-Cyr. Cette loi, présentée par M. de Serres, établissait deux grandes maximes : l’affranchissement des journaux, et le jury en matière de presse. La loi de M. de Serres, il faut être juste, fut concertée entre lui, M. Royer-Collard et M. Guizot ; car M. Guizot, qui en 1815, secrétaire-général de M. de Marbois, avait favorisé la réaction, combattait alors avec ardeur le mouvement ultrà-royaliste qui l’emportait. Cette loi sur la presse contint peu de restrictions ; M. de Serres combattit même pour que le nom de Dieu ne fût point inséré dans la loi. En résumé, la loi posait la liberté comme une des grandes facultés inhérentes à la société naturelle et politique.

Cette législation subsista jusqu’à l’assassinat du duc de Berry. Le jury fut saisi quelquefois des délits contre la presse ; les condamnations furent rares, les poursuites rares aussi. Il y eut, je crois, une ou deux condamnations contre la Renommée ; là se bornèrent les rigueurs du pouvoir. Mais à la mort du duc de Berry, le mouvement réactionnaire éclate et se prononce ; la faction des royalistes exagérés s’écrie : « Ce poignard, ce sont vos doctrines qui l’ont aiguisé ; Louvel est l’expression de vos journaux ! » Alors apparaissent encore les lois d’exception. Des lois répressives sont sollicitées ; des coteries les imposent, et bientôt les chambres sont appelées à voter une loi suspensive de la liberté des journaux. Cette loi fut l’ouvrage de M. Decazes, et fut adoptée en partie par le ministère du duc de Richelieu qui lui succéda. Il existe sur ces projets un médiocre discours du général Foy : « Il appartient, disait-il, à la sagesse des chambres de défendre, contre la rage des partis, un trône que le malheur a rendu plus auguste et plus cher à la fidélité. Craignons, en faisant une loi odieuse sans être utile, de remplacer la douleur publique par d’autres douleurs qui feraient oublier la première. Le prince que nous pleurons pardonnait en mourant à son infâme assassin ; faisons que ce profit d’une mort sublime ne soit pas perdu pour la maison royale et pour la morale publique ;