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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/52

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REVUE DES DEUX MONDES.

les Orientaux la reçoivent de préférence à toute autre, parce qu’elle est d’un or très pur.

Néanmoins Abul-Amet, à sa prière, se montra d’autant plus miséricordieux, qu’il n’avait jamais songé à le rançonner ; mais comme le vieux fourbe avait voulu couper l’herbe sous le pied à son généreux créancier, en s’emparant de la soie blanche en secret, Timothée trouva que c’était justice de faire faire cette acquisition à son maître, sans y associer M. Spada. Assem, l’armateur smyrniote, s’en trouva bien, car Abul lui en donna mille sequins de plus qu’il n’en espérait, et M. Spada reprocha souvent à sa femme de lui avoir fait, par sa fureur, un tort irréparable ; mais il se taisait bien vite lorsque la virago, pour toute réponse, serrait le poing d’un air expressif, et il se consolait un peu de ses angoisses de tout genre avec l’assurance de ne payer ses chers et précieux doges, ses dattes succulentes, comme il les appelait, qu’à la fin de l’année.

Veneranda et Mattea quittèrent Venise. Mais cette prétendue retraite où la captive devait être soustraite au voisinage de l’ennemi, n’était autre que la jolie île de Torcello, où la princesse avait une charmante villa, et où l’on pouvait venir dîner en partant de Venise en gondole après la sieste. Il ne fut pas bien difficile à Timothée de s’y rendre entre onze heures et minuit sur la barchetta d’un pêcheur d’huîtres.

Mattea était assise avec sa marraine sur une terrasse couverte de sycomores et d’aloës, d’où ses grands yeux rêveurs contemplaient tristement le lever de la lune qui argentait les flots paisibles et semait d’écailles d’argent le noir manteau de l’Adriatique. Rien ne peut donner l’idée de la beauté du ciel dans cette partie du monde, et quiconque n’a pas rêvé seul le soir dans une barque au milieu de cette mer, lorsqu’elle est plus limpide et plus calme qu’un beau lac, ne connaît pas la volupté. Ce spectacle dédommageait un peu la sérieuse Mattea des niaiseries insipides dont l’entretenait une vieille fille coquette et bornée.

Tout à coup il sembla que le vent apportait les notes grêles et coupées d’une mélodie lointaine. La musique n’était pas chose rare sur les eaux de Venise, mais Mattea crut reconnaître des sons qu’elle avait déjà entendus. Une barque se montrait au