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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/541

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ÉRASME.

déposée dans la cathédrale de Bâle, devenue une église protestante.

La crise mortelle le surprit au milieu de toutes ces pensées. Il ne vit pas d’abord qu’elle était mortelle ; car, pour lui, toute maladie, depuis quelques années, avait dû paraître la dernière, et l’habitude de l’extrême danger lui en avait donné l’insouciance. Il continua donc d’écrire malgré d’horribles souffrances, et dans les courts momens où le mal semblait céder, il fit un commentaire sur la pureté de l’église, et un travail de révision sur Origène. Mais les forces l’ayant quitté tout-à-fait, il fallut bien qu’il se laissât arracher sa plume, et qu’il s’avouât vaincu. Il le fit, si cela se peut dire, avec une grâce touchante, conservant jusqu’à la fin cette douce et bienveillante ironie qui était le tour naturel de ses pensées. Peu de jours avant sa mort, ses amis étant venus le voir : « Eh bien ! leur dit-il en souriant, où sont donc vos habits déchirés, où sont les cendres dont vous deviez couvrir vos têtes ? » Sur le soir du 15 juillet 1536, l’agonie commença. Pendant cette lutte, la dernière de toutes les luttes de l’homme, on l’entendit, à plusieurs reprises, prononcer en latin et en allemand ces paroles où le philosophe chrétien continuait à se séparer du catholique dogmatique : Mon Dieu, délivrez-moi ! mon Dieu, mettez fin à mes maux ! mon Dieu, ayez pitié de moi ! Ce furent ses derniers gémissemens. Il rendit l’âme vers minuit.

Toute la ville, le consul, le sénat, les professeurs de l’académie assistèrent à ses funérailles. Son corps fut porté par les étudians et déposé dans la cathédrale, près du chœur, dans une chapelle anciennement consacrée à la Vierge. Bâle a conservé pour Érasme le souvenir d’une mère pour un enfant d’adoption. On y montre la maison où mourut Érasme, son anneau, son cachet, son épée, son couteau, son testament, écrit de sa propre main, et dans lequel il lègue ses biens aux pauvres vieux et infirmes, aux jeunes filles en âge d’être mariées, et dont la pauvreté pourrait mettre en danger la pudeur, aux adolescens de belle espérance ; — testament qui n’est ni d’un catholique dogmatique (celui-là eût donné son bien aux couvens), ni d’un réformiste, qui eût consacré son héritage à la propagation de la foi nouvelle, mais d’un homme aimant