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sacrés ; vous, mon cher Frantz, à qui l’esprit de Dieu ouvre les oreilles, afin que vous entendiez de loin les célestes concerts, et que vous nous les transmettiez, à nous, infirmes et abandonnés ! que vous êtes heureux de pouvoir prier durant le jour avec des cœurs qui vous comprennent ! votre labeur ne vous condamne pas comme moi à la solitude ; votre ferveur se rallume au foyer de sympathies où chacun des vôtres apporte son tribut. Allez donc, priez dans la langue des anges, et chantez les louanges de Dieu sur vos instrumens qu’un souffle céleste fait vibrer.

Pour moi, voyageur solitaire, il n’en est point ainsi. Je suis des routes désertes, et je cherche mon gîte en des murailles silencieuses. J’étais parti pour vous rejoindre le mois dernier, mais le souffle du caprice ou de la destinée me fit dévier de ma route, et je m’arrêtai pour laisser passer les heures brûlantes du jour dans une des villes de notre vieille France, aux bords de la Loire. Pendant que je dormais, le bateau à vapeur leva l’ancre, et quand je m’éveillai, je vis sa noire banderole de fumée fuyant rapidement sur la zone d’argent que le fleuve dessinait à l’horizon. Je pris le parti de me rendormir jusqu’au lendemain ; et le lendemain, comme je sortais de ma chambre pour m’enquérir de quelque cheval ou de quelque bateau, un mien ami, que je ne m’attendais guère à trouver là (l’ayant perdu de vue depuis les années de ma vie errante), se trouva tout devant moi dans la cour. Grande surprise et fraternelle accolade, questions empressées, exclamations réitérées, vous imaginez tout ce qui de part et d’autre accompagna la rencontre imprévue. Il m’apprit, en déjeunant avec moi, qu’il était établi et marié dans la ville, mais qu’il habitait plus souvent une campagne située à plusieurs lieues, et à laquelle il se rendait présentement. Il venait se munir à l’auberge d’un cheval de louage, les siens étant malades ou occupés, et il prétendait m’emmener en boguet, pour me présenter à sa nouvelle famille. La proposition fut peu de mon goût. Il faisait une chaleur poudreuse pire que celle de la veille. Je me sentais encore de la fièvre ; le boguet avait de véritables ressorts de campagne. J’aime peu les nouvelles connaissances en voyage, et me sens mal disposé à être excessivement poli, quand je suis excessivement fatigué. Je refusai net, et lui dis que je voulais rester à l’auberge