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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

jusqu’à ce que je fusse délivré de mon malaise. L’excellent camarade ne me fit point subir l’obsession d’une impitoyable hospitalité. Il consentit à me laisser là ; mais au moment de monter dans son boguet, il lui vint à l’esprit de me dire : J’ai une maison dans la ville, petite, très modeste, et mal tenue, il est vrai, mais peut-être y dormirais-tu plus tranquillement qu’ici. Si, malgré l’abandon où mon séjour à la campagne l’a laissée tout ce printemps, tu pouvais t’en accommoder… Je n’ose insister, elle est si peu présentable. Cependant tu es poète et ami de la solitude, si tu n’es pas changé. Peut-être cela te plaira-t-il. Tiens, voici les clés ; si tu pars avant que je revienne te voir, laisse-les à l’hôtesse de cette auberge qui me connaît. — Et parlant ainsi, il me serra dans ses bras et s’éloigna.

Je trouvai cette invitation des plus agréables. Je me sentais décidément trop mal pour continuer ma route avant deux ou trois jours. Je me fis conduire à la maison de mon ami. Ce ne fut pas chose facile que d’y parvenir ; il fallut monter et descendre des rues étroites, raides, brûlantes et mal pavées. Plus nous nous enfoncions dans le faubourg, plus les rues devenaient désertes et délabrées. Enfin nous arrivâmes par une suite d’escaliers rompus à une sorte de terrasse crevassée qui portait un pâté de maisons fort anciennes, ayant chacune leur cour ou leur jardin clos de hautes murailles bien sombres et bien festonnées de plantes pariétaires. J’eus à peine entr’ouvert la porte de celle qui m’était destinée, que je fus ravi de son aspect, et que, voulant me conserver le plaisir religieux d’y pénétrer seul, je pris la valise des mains de mon guide, je lui jetai son salaire, et j’entrai précipitamment, lui poussant la porte au nez, ce qui dut me faire passer dans son esprit pour un fou, pour un conspirateur ou pour quelque chose de pis.

Il faut croire que la nature n’a pas été faite exclusivement pour l’homme, ou bien qu’avant la domination étendue par lui sur la terre, il y eut en effet un règne de divinités champêtres ; que cette race surhumaine ne s’est point entièrement retirée aux cieux, et que ses phalanges dispersées viennent encore se réfugier aux lieux que l’homme abandonne. Sans cela, comment expliquer ce respect religieux dont chacun de nous se sent pénétré en impri-