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MATTEA.

Alors un jeune homme, beau comme le jour, ou comme un prince de conte de fées, et vêtu d’un riche costume grec, vint se précipiter à ses pieds et s’empara d’une de ses mains qu’il baisa avec ardeur. — Arrêtez, monsieur, arrêtez, s’écria Veneranda éperdue, on n’abuse pas ainsi de l’étonnement et de l’émotion d’une femme dans le tête-à-tête ; laissez ma main, vous voyez que je suis si tremblante, que je n’ai pas la présence d’esprit de vous la retirer. Qui êtes-vous ? au nom du ciel ! et que doivent me faire craindre ces transports imprudens ? — Hélas ! ma chère marraine, répondit le beau garçon, ne reconnaissez-vous point votre filleule, la coupable Mattea, qui vient vous demander pardon de ses torts et les expier par son repentir ? — La princesse jeta un cri en reconnaissant en effet Mattea, mais si grande, si forte, si brune et si belle sous ce déguisement, qu’elle lui causait la douce illusion d’un jeune homme charmant à ses pieds. — Je te pardonnerai à toi, lui dit-elle en l’embrassant, mais que ce misérable Zacharias, Timothée, ou comme on voudra l’appeler, ne se présente jamais devant moi. — Hélas ! chère marraine, il n’oserait, dit Mattea ; il est resté dans le port sur un vaisseau qui nous appartient et qui apporte à Venise une belle cargaison de soie blanche. Il m’a chargé de plaider sa cause, de vous peindre son repentir, et d’implorer sa grace. — Jamais ! jamais ! s’écria la princesse. Cependant elle s’adoucit en recevant, de la part de son infidèle sigisbée, un cachemire si magnifique, qu’elle oublia tout ce qu’il y avait d’étrange et d’intéressant dans le retour de Mattea, pour examiner ce beau présent, l’essayer et le draper sur ses épaules. Quand elle en eut admiré l’effet, elle parla de Timothée avec moins d’aigreur et demanda depuis quand il était armateur et négociant pour son compte. — Depuis qu’il est mon époux, répondit Mattea, et qu’Abul lui a fait un prêt de cinq mille sequins pour commencer sa fortune. — Eh quoi ! vous avez épousé Zacharias ? s’écria Veneranda qui voyait dès-lors en Mattea une rivale ; c’était donc de vous qu’il était amoureux, lorsqu’il me faisait ici de si beaux sermens et de si beaux quatrains ? Ô perfidie d’un petit serpent réchauffé dans mon sein ! Ce n’est pas que j’aie jamais aimé ce freluquet : Dieu merci, mon cœur superbe a toujours résisté aux traits de l’amour ; mais c’est un affront que vous m’avez fait l’un et l’autre… — Hélas ! non, ma bonne marraine, répondit