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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

et du pédantisme de ses contemporains, il leur répond avec un calme inaltérable. — Le professeur Lichtemberg l’attaque avec plus d’esprit et d’âcreté que les autres. Lavater prend le pamphlet, s’en émeut peut-être un peu en secret (car lui-même nous avoue qu’il est nerveux et irascible) ; mais ramené au sentiment de la philosophie chrétienne par la conviction et la pratique de toute sa vie, il écrit sa réponse dans un esprit de sagesse et de charité. Il examine l’attaque avec cette précision et cet amour de l’ordre qui le caractérisent, en disant : « Je me figure que, placés l’un à côté de l’autre, nous allons parcourir ensemble cet écrit, et nous communiquer réciproquement, avec la franchise qui convient à des hommes et la modération qui convient à des sages, la manière dont chacun de nous envisage la nature et la vérité. »

Plus loin, frappé d’une belle déclamation du professeur Lichtemberg, il s’écrie avec naïveté : — « Ce langage est celui de mon cœur. C’est sous les yeux d’un tel homme que j’aurais voulu écrire mes essais ! »

Vertueux prêtre ! on l’attaque pourtant dans ce que son intelligence enfante de plus précieux et caresse de plus sacré, dans la moralité de sa science. La pudeur et la vertu des critiques (toujours humbles et tolérantes, comme vous savez !) s’effarouchent de voir ce novateur impie porter un regard scrutateur dans les mystères de la conscience. Qu’allez-vous faire ? lui crie-t-on avec amertume, vous allez essayer de vous approprier ce qui n’appartient qu’à Dieu, la connaissance des secrets du cœur humain ; et quand vous aurez appris à vos semblables à se sonder et à se surprendre l’un l’autre, il en résultera une haine implacable pour les pervers, vous aurez tué la miséricorde ; un mépris superbe pour les simples, vous aurez tué la charité. Lavater s’incline. L’objection est sérieuse, dit-il, et part d’une belle ame ; mais toute science peut devenir funeste en de mauvaises mains, utile et sainte pour quiconque la dirige vers le bien. Est-ce à dire qu’il ne faut pas de science, parce qu’on en peut abuser ? Mais, ajoute-t-on, comment réparerez-vous, ou comment préviendrez-vous les injustices qu’une erreur peut vous faire commettre ? ou si tant est que vous soyez infaillible, vos disciples le seront-ils ? Tous les jours nous voyons l’honnête homme sous des traits