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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

pour celui qui les a faits. — Sagesse sans bonté est folie. Je ne voudrais point avoir ton œil, ô Jésus, si en même temps tu ne me donnais ton cœur. Que la justice règle mes jugemens, et la bonté mes actions !

« Une juste idée de la liberté de l’homme et des bornes qui la restreignent est bien propre à nous rendre humbles et courageux, modestes et actifs. Jusqu’ici et point au-delà, mais jusqu’ici ! c’est la voix de Dieu et de la vérité qui nous adresse ce langage ; elle dit à tous ceux qui ont des oreilles pour entendre : Sois ce que tu es, et deviens ce que tu peux. »

Ailleurs, à propos des monstres dans l’ordre physique, le même sentiment de tendresse humanitaire et de miséricorde religieuse reparaît comme partout avec éloquence.

« Tout ce qui tient à l’humanité est pour nous une affaire de famille. Tu es homme, et tout ce qui est homme hors de toi est comme une branche du même arbre, un membre du même corps. — Ô homme ! réjouis-toi de l’existence de tout ce qui se réjouit d’exister, et apprends à supporter tout ce que Dieu supporte. L’existence d’un homme ne peut rendre celle d’un autre superflue, et nul homme ne peut remplacer un autre homme. »

Cette tolérance et cette douceur de jugement à l’aspect de la difformité est d’autant plus sainte, que nul homme ne porte plus loin que Lavater l’amour du beau et le sentiment exquis de la forme. Il se prosterne devant la pureté grecque, mais il proscrit avec discernement les imitations modernes de cette beauté qui n’existe plus. Nous pensons bien tous que, sur cette terre dorée où tout était Dieu, l’homme l’était lui-même, et qu’il y avait dans la rectitude des lignes de sa forme quelque chose de surhumain qui n’a fait que dégénérer et s’effacer depuis. Il y a des races d’hommes qui périssent ; cependant Lavater eût été moins absolu dans cette opinion, s’il eût vu beaucoup de figures orientales. Je me souviens d’avoir rencontré sur les quais de Venise des Arméniens presque aussi beaux que des dieux de l’Olympe. Nous retrouvons encore, quoique rarement, dans nos contrées européennes, des visages assez grandioses pour servir de modèles à la statuaire antique, et je ne pense pas avec Lavater que la nature ne fait