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LA LOI SUR LA PRESSE.


Oui, c’est la vérité qu’à peine émancipée,
L’intelligence humaine, hier esclave encor,
A pris à tire-d’aile un monstrueux essor.
Nos hommes ont souillé leur plus vaillante épée,
La Parole, cette arme au sein de Dieu trempée,
Dont notre siècle au flanc porte la lame d’or.

Oui, c’est la vérité, la France déraisonne ;
Elle donne aux badauds, comme à Lacédémone,
Le spectacle effrayant d’un esclave enivré.
C’est que nous avons bu d’un vin pur et sacré,
Et joyeux vignerons qu’un pampre vert couronne,
Nous vendangeons encor d’un pas mal assuré.

Mais, morbleu ! c’est un sourd ou c’est une statue,
Celui qui ne dit rien de la loi qu’on nous fait !
Messieurs les députés ne visent qu’à l’effet.
Eh ! pour l’amour de Dieu, si votre ame est émue,
Soyez donc trivial comme on l’est dans la rue ;
Labruyère l’a dit ; celui-là s’y connaît.

Une loi sur la presse ! ô peuple gobe-mouche !
La loi, pas vrai ? quel mot ! comme il emplit la bouche !
Une loi maternelle, et qui vous tend les bras !
Une loi (notez bien) qui ne réprime pas,
Qui supprime ! une loi — comme Sainte-n’y-touche ;
Une petite loi qui marche à petits pas ;

Une charmante loi, pleine de convenance,
Qui couvre tous les seins que l’on ne saurait voir.
Vous pouvez tout écrire en toute confiance ;
Votre intention seule est ce qu’on veut savoir.
Rien que l’intention ! voyez quelle indulgence !
La loi flaire un écrit ; s’il sent mauvais, bonsoir.