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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/65

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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

petite ville de la province de Bretagne. La neige, qui couvrait la terre depuis huit jours accomplis, avait tellement refroidi l’air, qu’à moins d’affaires pressantes, nul bourgeois ne quittait la maison, et toutes les rues étaient désertes. Quant aux grands chemins, on n’y voyait plus ni colporteurs, ni étrangers, ni soudards. On apercevait seulement, de temps en temps, dans les campagnes, un prêtre qui allait porter le viatique, un capucin faisant la quête dans les fermes, ou quelques jeunes gentilshommes, vêtus de bon drap fourré, qui chassaient dans les bruyères. Mais les paysans avaient abandonné tous leurs travaux. À peine si l’on en rencontrait quelques-uns, de loin en loin, allant à la ville ou en revenant, par nécessité ; et encore c’était pitié de les voir marcher le long des sentiers, les deux mains sous leurs aisselles, les jarrets pliés, cherchant le côté de la route où le soleil montrait sa réjouissante flambée, et, si grelotans, si transis, si resserrés dans leur sentiment de froid, qu’ils passaient devant les calvaires sans découvrir leurs têtes, ni faire le signe de la croix.

Comme nous l’avons dit en commençant ce chapitre, le quinzième jour de ce mois de décembre le froid avait semblé s’accroître encore. Il s’était élevé, vers le soir, une bise mêlée de givre qui coupait le visage à tel point qu’on ne rencontrait que des nez rouges et des yeux pleureurs. Aussi chacun s’était-il ramassé de bonne heure, et, à la tombée de la nuit, toutes les portes étaient fermées, tous les châssis de toile écrue (qui, à cette époque, tenaient encore lieu de carreaux dans une grande partie de la Bretagne) avaient été baissés et les volets rabattus par-dessus, si bien qu’on eût dit la ville entière endormie ou morte, sans les rumeurs qui sortaient par bouffées des habitations, et les clartés qui passaient sous les fentes des portes et entre les jointures des croisées.

Une maison surtout, située au milieu de la principale rue de Loudéac, se distinguait par la clarté qui brillait à travers sa fenêtre sans volets et par les éclats de rire qui en sortaient fréquemment. Cette maison était celle de la veuve Flohic, qui tenait, à cette époque, l’auberge la plus achalandée de l’endroit. Une enseigne, suspendue au-dessus de la porte, à côté d’une touffe de guy, avertissait les passans et les étrangers de sa destination. La veuve Flohic avait fait peindre sur cette enseigne Jésus-Christ en habit complet de gentilhomme, et l’épée au côté, montant au ciel, soutenu par deux anges. Au-dessus on lisait ces mots : Ar résurrection hon Salver — la résurrection de notre Sauveur ; et plus bas, également en breton : Dinée des voyageurs à pied : quatre sols. Couchée des voyageurs à pied : six sols. Au haut de l’enseigne était écrit :Auberge par la permission du roi et du parlement.

Or, dans une salle basse de la taverne de la Résurrection, cinq buveurs