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je mets à nu les parties honteuses des doctrines ; on m’imputera, de l’autre, des conséquences qui se seront fatalement rencontrées au bout de ma pensée, des prévisions que m’auront inspirées et les analogies historiques et la direction manifeste des idées du siècle. Peut-être s’étonnera-t-on que je signale, pour l’avenir, des écueils doublés sans doute en ce moment, mais vers lesquels le cours calme et constant du flot pousse plus infailliblement que des tempêtes passagères.

Ainsi sont faits les partis : ce qu’ils respectent le moins, c’est une pensée qui se place en dehors de leurs préoccupations exclusives, soit qu’elle en reste médiocrement touchée, ou qu’elle sache tout ce qu’il y a de transitoire dans des triomphes sans lendemain.

Que des prévisions trop complexes puissent être un tort dans la vie publique, c’est ce que je ne fais nulle difficulté de reconnaître. Je pense qu’une fois engagé dans les affaires, on se doit, par conscience, à une idée simple et précise, et qu’il n’est pas plus loisible à l’homme attaché à l’action politique, qu’au cultivateur qui laboure son champ, de s’égarer dans des spéculations hasardeuses et lointaines. Mais la vie littéraire se développe sur une plus large échelle, et se règle par d’autres principes ; c’est ainsi, par exemple, que pour constater la situation des idées démocratiques et l’avenir probable de l’opinion républicaine en France, il faut peser les chances les plus diverses, et pressentir les conséquences, même les plus éloignées, d’un mouvement d’esprit qui n’a point encore commencé à se produire.

Il n’est pas de période dans l’histoire ancienne qui réveille des idées plus tristes et plus vulgaires que le triomphe de la démocratie. Alors paraissent les sophistes et les rhéteurs, les généraux imbécilles et les démagogues ; la foi religieuse et sociale s’efface, les hautes traditions politiques s’obscurcissent, on dirait que l’ame de l’état se retire. Ces temps précèdent et amènent la barbarie et la conquête ; les succès de la démocratie sont à la fois et le signal et la cause des catastrophes où les nationalités périssent.

Pour bien comprendre et la constance de cette loi, qu’on pourrait énoncer en formule générale dans le monde antique, et les motifs qui doivent faire espérer un avenir tout différent au monde moderne, arrivé à la même période de son existence, il faut rappeler sur quelles bases reposaient, dans l’ère antérieure au christianisme, l’état, la patrie et la religion.

Le panthéisme enveloppait, à bien dire, le monde antique tout entier, soit que l’homme s’abimât dans l’immensité divine, comme en Orient, soit qu’il se taillât, comme en Grèce, des dieux à son image.