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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/696

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REVUE DES DEUX MONDES.

des livres classiques par leur style et fort distingués par leur esprit. Ce ne sont pas des mérites d’une pareille éminence qui recommandent le comte de Shaftesbury actuel, c’est un homme industrieux et diligent. Quand régnait le torisme (car c’est encore un tory renforcé), il a su se faire attribuer le poste fort productif de président des comités, et il y montre toute l’intelligence patiente et routinière que requiert l’emploi ; il est en outre l’un des vice-speakers de l’assemblée ; à l’occasion, il étale sa petite personne noire sur le sac de laine rouge ; mais comme il ne lui est alloué de figurer là que sous son mince costume ordinaire, cet honneur lui est rare : ce n’est qu’à la dernière extrémité qu’il en jouit, et faute de tout autre speaker disponible. Une chambre anglaise ne se juge dignement et légalement présidée que par une robe et une perruque.

Grâce à saint George, nous sommes hors de la foule des tories, nous avons doublé le second angle de la barre ; revenant vers le trône, en passant par les bancs de gauche, nous voici parmi les whigs, qui ne nous embarrasseront pas trop la route : les rangs ne sont guère serrés de ce côté. Combien de vides, hélas ! Un regard à quelques-unes de ces généreuses pairies solitaires, et notre promenade sera finie : nous aurons achevé notre voyage de long cours autour de la chambre.

Le comte Radnor est du petit nombre de ces whigs désintéressés qui se sont épris de la réforme pour elle-même, nullement pour s’asseoir au banquet du pouvoir ; il fait son état de pair libéral activement, consciencieusement, avec cette rectitude et cette fermeté que promet toute sa personne droite, nerveuse et inflexible. Ce n’est pas un orateur bien fleuri ; mais il faut l’écouter quand il parle ; il a cet accent de probité hardie et vigoureuse qui force l’attention d’un auditoire.

Avec plus de défiance et de timidité dans le discours, ce sont les mêmes mérites de dévouement sincère et indépendant à la liberté qui distinguent le marquis de Clanricarde. Il y a chez ce jeune lord une sorte de grâce intérieure qui transpire et voile la difformité des traits : son nez camard, ses yeux enfoncés, son teint cadavéreux, ne vous effraient point ; vous n’avez jamais vu d’extrême laideur si jolie : c’est une tête de mort parfaitement agréable et souriante. Mais votre monde de Paris connaît déjà suffisamment le marquis de Clanricarde, grace à la causticité spirituelle de sa femme, la fille de Canning, qui s’est égayée si cruellement l’an dernier aux dépens de toutes vos aristocraties bourgeoises, pédantesques et quasi-légitimistes.

Voici que nous rentrons au quartier-général de la petite armée des whigs. Sur ses derrières, commandant son corps de réserve, se tient