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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

ceinture, en murmurant : Ούαι υμῖν οἱ ἐμπεπλησμένοι, ὅτι πεινάσετε ; ούαι ὑμῖν οἱ γελὼντες’ νυν, ὅτι πελθησετε ϰαι ϰλαυσετε.[1]

— Ainsi, dit le jeune Kernewote, je ne pourrai voir aucune de vos belles tragédies ? Quand je suis parti de Kerné, on m’avait bien promis cependant que je serais témoin de merveilleuses représentations au pays de Tréguier. Nous n’avons pas entendu parler, dans notre Cornouailles, de la défense de messieurs du parlement.

— Vous êtes heureux d’être loin de Rennes ; mais jouez-vous aussi des mystères dans vos montagnes ?

— Nous en jouons. Outre les belles tragédies de Saint Guillaume, des Quatre fils d’Aymon, de Sainte Barbe, qui sont de la langue de Tréguier, nous avons aussi des mystères écrits dans le breton du Léonnais, qui est le plus doux de tous, et d’autres en langue de Cornouailles et faits dans le pays même.

— Et quelles sont ces pièces ? demanda Coatmor.

— Il y a le Comte de Gouesnon, Jacob, la Vie de Sainte Barbe, Sainte Triffine, et beaucoup d’autres.

— Par le ciel ! je voudrais connaître ces tragédies, dit Abalen en frappant sur sa cuisse, et je donnerais bien pour cela une des meilleures arquebuses de ma boutique.

— Je puis vous en raconter une, répondit Tanguy ; j’ai joué le rôle d’Arthur dans Sainte Triffine.

— Malo ! Malo ! crièrent tous les buveurs, et Abalen par-dessus tous les autres. Noël au Kernewote ! Du cidre, veuve Flohic, et une bonne fascine dans le foyer. Nous allons entendre une tragédie de Cornouailles !

L’aubergiste apporta du cidre, réveilla le feu, et, après s’être recueilli un instant, Tanguy commença, avec une sorte de timidité qui ne ressemblait pas mal au trouble d’un jeune auteur risquant sa première pièce devant des juges habiles et sévères.

§. iii.
Tragédie de Sainte Triffine et de Kervoura.

Au nom du Père, et du Fils, et du saint Esprit.

Ce que je vais vous raconter est la vie de sainte Triffine et de Kervoura, tragédie en neuf journées, avec prologues. Je prie Dieu le Père, Dieu le

  1. Malheur à vous qui êtes dans l’abondance, car vous aurez faim ; malheur à vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez.