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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

LE PRÉSIDENT.

D’après ces charges-ci, nous avons délibéré et condamné Triffine à mort. Nulle considération ne peut empêcher l’arrêt ; il faut qu’elle périsse. Je suis maintenant son juge souverain. La reine de Bretagne est sous ma volonté, car je suis le président de ce parlement, et tout le monde doit courber la tête devant la sentence que je rends. En conséquence, vu les crimes de la reine de Bretagne (il les énumère), nous la condamnons à être dépouillée de son habit de reine, de sa couronne, à demander pardon au roi Arthur, puis à avoir la tête coupée sur un billot. — Voilà l’arrêt. La mort sans rémission, et je signe de ma propre main cette sentence de rigueur. Après je donne cette femme au bourreau pour qu’il prenne sa tête.

L’arrêt est ensuite annoncé au peuple ; un messager tout habillé de noir va par les villes et les campagnes ; il marche nuit et jour, et il s’arrête à tous les carrefours ; il sonne de la trompe et il crie : — Par ordre du parlement, Triffine, reine de Bretagne, va mourir ; priez Dieu pour son ame. — Puis il passe plus loin, et sa voix retentit ainsi par toute la Bretagne, et tous les cœurs sont frappés de crainte ; chacun dit tout bas : On tue les reines maintenant comme de simples femmes ; que va devenir le monde ? Voilà que le billot rouge sert d’oreiller aux têtes couronnées.

Cependant Triffine a été reconduite dans sa prison où elle attend l’heure ; la pauvre femme est triste, car, au moment de mourir, la vie lui devient plus douce. Elle est jeune, elle est belle, elle est pleine de jours, et elle voudrait vivre ; elle voudrait entendre, encore une fois, le bruit lointain des fléaux dans les aires des métairies, pendant les belles journées de l’ouest ; voir encore une fois une Fête-Dieu pour chanter avec les prêtres, et jeter des fleurs sur les petits enfans habillés en saint Jean-Baptiste ; elle touche ses mains qui sont chaudes, qui sont fraîches, et elle pleure en songeant que bientôt elles pourriront dans la terre, froides et desséchées ; et elle les embrasse, folle de douleur, et elle crie à Dieu pour lui demander qu’il ait pitié d’elle.

TRIFFINE.

Oh ! comme mon cœur est triste ! Mon temps est fini, mon temps est fini, je le sais ! Dieu éternel ! et vous ne viendrez pas à mon secours ? — Ah ! quand j’aurais abattu, brisé sous mes pieds vos temples saints, quand j’aurais brûlé vos églises, profané vos sacremens, alors encore je trouverais en vous de la miséricorde en présentant à vos yeux ce que j’endure. Roi des étoiles, ô mon Dieu ! serai-je la seule à ne pouvoir obtenir pitié de vous ? Vous êtes plein de charité pour toute la nature ; tout l’univers vous doit sa conservation ; les anges chantent nuit et jour