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conservé pour cet homme énergique une estime qu’il exprime à toute occasion, dans ses conversations comme dans ses lettres. 3o  L’esprit de propagande s’étant partout répandu, M. de Metternich a senti la nécessité d’agrandir non-seulement l’état militaire de l’Autriche, mais encore ses vigoureux moyens de police. Partout l’administration est devenue plus sévère parce qu’elle était plus menacée. La Liberté a été confondue avec l’esprit révolutionnaire dans ce système absolu de répression.

L’administration de M. de Metternich paraît préoccupée de ce sentiment profondément éprouvé, que si la liberté civile est nécessaire à tous, la liberté politique n’est bonne qu’à quelques-uns, en tant qu’elle ne blesse point l’esprit et la durée des gouvernemens. Protection à l’intelligence, mais à l’intelligence sérieuse, qui ne s’évapore pas en pamphlets ; le progrès sans doute, mais le progrès sans turbulence. La maison d’Autriche a peur du bruit, elle craint qu’on parle d’elle, elle ne vise ni à l’éclat ni à la liberté bruyante ; elle ressemble beaucoup à ces professeurs allemands qui amoncellent de l’érudition et de la science dans quelques coins poudreux des universités, et ne publient leurs œuvres qu’à de rares exemplaires à l’usage de quelques savans.

La vie intime de M. de Metternich a été traversée par plus d’un malheur domestique ; le deuil a frappé sa maison ; les distractions d’un monde agité n’ont pu toujours consoler sa douleur. Affable dans la vie privée, il aime à se reposer des fatigues de son vaste ministère. Un homme d’esprit a remarqué qu’il passait une grande partie de sa vie en conversations. C’est le faible des hommes qui ont tant vu, de faire de l’histoire dans ces causeries de coin du feu, recueillies avec avidité. Et qui n’a entendu M. de Talleyrand ? M. de Metternich a des mémoires longs, curieux, tout remplis de pièces justificatives, car il se croit en face de la postérité. Son entreprise est grande, et comme je l’ai dit en commençant, il en portera la gloire et la responsabilité. Quand on songe à l’état de l’Autriche après la paix de Presbourg et qu’on la voit plus puissante qu’elle n’a jamais été, et que tout cela est l’œuvre d’un seul ministre qui a gouverné l’empire pendant vingt-cinq ans, on peut bien deviner quelques-uns des jugemens de la postérité. Nous sommes environnés, nous, de ruines d’hommes et de choses ; gouvernement, ministère, administration, tout tombe. Et lorsque du haut de ces ruines, nous contemplons quelques-unes de ces figures immobiles au milieu des ravages du temps, il nous semble que ces figures n’appartiennent point à notre époque ; nous nous reportons à Richelieu, à ces ministres qui eurent un système et qui l’accomplirent jusqu’au