Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
DIPLOMATES EUROPÉENS.

bout. Un système, bon ou mauvais, c’est quelque chose, et chez nous quel est l’homme d’état qui a un système ?

Parvenu aujourd’hui à sa soixante-deuxième année, le prince de Metternich a conservé la même conviction, la même foi en ses idées ; c’est l’homme politique qui s’est laissé le moins impressionner par les évènemens fugitifs et les caractères de circonstances ; cette impassibilité imprime à ses plans une supériorité froide et réfléchie qui le fait passer à travers les révolutions les plus violentes, le ministre n’étant préoccupé que de la manière de les réprimer le plus paisiblement possible. Le prince de Metternich possède un art particulier de fasciner ceux qui l’écoutent ; j’ai vu les hommes les plus prévenus contre lui être entraînés malgré eux à ses idées politiques et revenir d’une mission tout remplis des principes du chancelier autrichien ; demandez au maréchal Maison et à M. de Saint-Aulaire le prestige de conversation exercé sur eux par M. de Metternich. Dans ses intimités, ce n’est plus le même homme ; le chancelier aime la plaisanterie, le calembour, la mystification, le mauvais roman et la toute petite littérature.

Il ne dédaigne point au besoin de venir en aide à celle-ci, et les sujets fournis par M. de Metternich à la grande dame dont une fatale indiscrétion causa jadis la mésaventure, ne sont ni les moins intéressans, ni les moins spirituels. Nous proposons le suivant comme un modèle à tous les nouvellistes et romanciers. Une égale passion faisait battre le cœur de deux jeunes amoureux ; Roméo et Juliette ne sont point uniquement une fantaisie de l’artiste, un produit de l’imagination de Shakspeare ; cette liaison qui pouvait faire leur bonheur, causa tous leurs maux, l’opposition des amitiés sépara ceux qui devaient être éternellement unis, la raison du jeune homme n’y résista pas, il devint fou ; un même sort attendait son amante. Les deux infortunés furent transportés dans le même hospice ; là ils purent se voir tous les jours, et un nouvel attachement se forma entre ces deux amans, qui s’ignoraient l’un l’autre, et dont rien ne pouvait amener la reconnaissance. M. de Metternich, visitant un jour le lieu de leur retraite, s’informa auprès de la jeune fille, pourquoi elle ne se mariait pas avec ce compagnon d’infortune qu’elle semblait tant aimer ; elle lui répondit que son choix était arrêté avant de connaître ce dernier, et que celui qu’elle devait épouser était encore plus aimable.

M. de Metternich vient de perdre François ii, cet empereur qui était associé à toutes ses pensées sur la maison d’Autriche, prince modeste, et qui s’abandonnait de confiance au premier ministre de son cabinet. L’empereur Ferdinand, qui lui succède, a vécu dans un monde