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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/14

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REVUE DES DEUX MONDES.

à trop bon marché à présent et à tout le monde. Nous devons bien nous garder d’admirer légèrement. L’admiration est corrompue et corruptrice. On doit bien faire pour soi-même et non pour le bruit. D’ailleurs j’ai là-dessus mes idées, finit-il brusquement, et il allait me quitter.

— Il y a quelque chose au-dessus d’un grand homme, c’est un homme d’honneur, lui dis-je.

Il me prit la main avec affection. — C’est une opinion qui nous est commune, me dit-il vivement ; je l’ai mise en action toute ma vie, mais il m’en a coûté cher. Cela n’est pas si facile que l’on croit.

Ici le sous-lieutenant de sa compagnie vint lui demander un cigare. Il en tira plusieurs de sa poche et les lui donna, sans parler ; les officiers se mirent à fumer en marchant de long en large, dans un silence et un calme que le souvenir des circonstances présentes n’interrompait pas : aucun ne daignant parler des dangers du jour ni de son devoir, et connaissant à fond l’un et l’autre.

Le capitaine Renaud revint à moi. — Il fait beau, dit-il en me montrant le ciel avec sa canne de jonc ; je ne sais quand je cesserai de voir tous les soirs les mêmes étoiles : il m’est arrivé une fois de m’imaginer que je verrais celles de la mer du Sud, mais j’étais destiné à ne pas changer d’hémisphère. — N’importe ! le temps est superbe, les Parisiens dorment ou font semblant. Aucun de nous n’a mangé ni bu depuis vingt-quatre heures, cela rend les idées très nettes. Je me souviens qu’un jour, en allant en Espagne, vous m’avez demandé la cause de mon peu d’avancement ; je n’eus pas le temps de vous la conter, mais ce soir je me sens la tentation de revenir sur ma vie que je repassais dans ma mémoire. Vous aimez les récits, je m’en souviens, et dans votre vie retirée vous aimerez à vous souvenir de nous. — Si vous voulez vous asseoir sur ce parapet du boulevard avec moi, nous y causerons fort tranquillement, car on me paraît avoir cessé pour cette fois de nous ajuster par les fenêtres et les soupiraux de cave. — Je ne vous dirai que quelques époques de mon histoire et je ne ferai que suivre mon caprice. J’ai beaucoup vu et beaucoup lu, mais je crois bien que je ne saurais pas écrire. Ce n’est pas