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pos d’un lied intitulé Adieu, Lebe wohl. Le poète a donné le sentiment, et le musicien l’a développé selon toute la mesure de son art. Voici les paroles de Uhland :


Lebe wohl, lebe wohl, mein Lieb ;
Muss noch heute scheiden.
Einen Kuss, einen Kuss mir gib ;
Muss dich ewig meiden,
Eine Blüth, eine Blüth mir brich,
Von dem Baum im Garten ;
Keine Frücht, keine Frücht für mich,
Darf sie nicht erwarten.

« Adieu, adieu, mon bien-aimé ; il faut nous séparer encore aujourd’hui. Un baiser, donne-moi un baiser, je dois désormais te fuir. Une fleur, apporte-moi une fleur de l’arbre du jardin. Point de fruit, point de fruit pour moi ; je n’ose en attendre. »


C’est avec ces vers que M. Dessauer a fait un chef-d’œuvre de grace et de mélancolie. Il est impossible de se figurer quelle délicieuse fleur de pensée est sortie de cette petite graine de Uhland. Hoffmann, en voyant cette fleur se balancer sur sa tige et s’ouvrir au soleil du matin, comme un œil mélancolique et bleu, s’arrêterait pour causer avec elle, comme il fit autrefois devant le tournesol merveilleux du jardin de ses rêves. C’est qu’en effet ici le sentiment du poète s’exhale par de ravissantes mélodies ; ici vous ne trouvez plus vestige des défauts ordinaires de M. Dessauer. Je dirai plus ; il semble qu’ils sont devenus des qualités. Sa diffusion se change en vague rêverie ; les formules qu’il emploie d’habitude, et que j’ai blâmées ailleurs, ici conviennent à merveille ; sa modulation est d’un effet heureux ; le changement continuel de ton exprime bien toutes les nuances de la douleur de cette jeune fille qui se sépare de son bien-aimé. Vraiment, si une âme inspirée et noble, si une voix sonore et pure voulait prendre sous sa protection ce petit air ignoré en France, je ne doute pas qu’il n’eût bientôt sa place entre les plus gracieuses mélodies que Schubert ait écrites. La musique emprunte ses ailes à l’exécution qui la lance dans le sonore espace. C’est une vérité triste à dire, mais