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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/172

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REVUE DES DEUX MONDES.

ment dits. Ces animaux, en effet, sont très ardens en amour et très persévérans. Tant que la passion les tient, aucun danger ne les effraie ; aucune douleur ne les détourne de leur objet. Ils sont comme dans une sorte d’extase qui les rend insensibles non-seulement aux coups, mais aux mutilations les plus graves, et on peut leur couper bras ou jambes sans qu’ils paraissent s’en apercevoir. On juge bien que le fait une fois observé, on ne pouvait manquer d’en faire des applications conformément à la théorie dont je viens de parler.

Si je voulais énumérer tous les remèdes qu’on empruntait aux batraciens, ce serait à n’en pas finir : il y a tel chapitre de Pline qui seul m’en fournirait une trentaine, et quelques-uns sont tellement saugrenus, que j’aurais bien de la peine à les exprimer décemment ; aussi, lorsque j’ai dit qu’on trouverait beaucoup moins de mensonges que d’erreurs dans l’histoire de ces animaux telle que les anciens nous l’ont laissée, je faisais abstraction de toutes les applications à la médecine et à la magie. Dans cette partie, j’en conviens, il y a cent fois plus d’impostures encore que d’erreurs, et c’est réellement une chose affligeante que de voir tout ce qu’on a pu faire croire d’absurdités aux hommes de certaines époques.

Au temps où Pline écrivait, Rome était infestée d’une foule de scélérats, demi-sorciers, demi-médecins, au besoin empoisonneurs, qui offraient aux hommes épuisés des moyens de réparer leurs forces, promettaient aux prodigues des héritages, et quelquefois leur fournissaient les moyens d’avancer l’époque de la succession. Ces imposteurs alors avaient beau jeu, car si les gens riches ne croyaient plus guère aux dieux, ils croyaient plus que jamais aux mauvais esprits, à la fascination, aux antipathies, aux sympathies, etc. Rien n’était plus aisé que de s’emparer de leur imagination, et afin de la mieux ébranler, on ne manquait pas de faire entrer, dans les préparations qu’on leur vendait au poids de l’or, des substances empruntées aux animaux qui inspirent le plus communément l’horreur et le dégoût ; les crapauds ne pouvaient manquer de trouver place dans cette pharmacopée. Ils y paraissaient sous toute espèce de formes et pour toute sorte d’usages. Ici on en recommandait l’emploi à celui qui voulait se faire aimer de la femme de son voisin, là à celui qui voulait rendre sa femme fidèle. Pline, qui nous a conservé les deux recettes, dit en parlant de la dernière : « Il faut avouer que si ce moyen réussit, les grenouilles sont plus utiles que les lois pour conserver le bon ordre dans la société. »

Malgré le ton railleur qu’il prend dans cette circonstance, Pline croyait certainement à l’efficacité de la plupart de ces mystérieuses pratiques ; autrement, on ne concevrait pas comment il a eu la patience de les