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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/190

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REVUE DES DEUX MONDES.

montagne de Quindiù, je l’entendis souvent émettre sur divers points de philosophie religieuse ou de philosophie naturelle des opinions que j’avais rencontrées ailleurs, mais que je ne m’attendais guère à retrouver chez un vieux nègre ignorant.

La montagne de Quindiù ne passe pas pour avoir des crapauds plus venimeux que le reste de la Nouvelle-Grenade : mais une autre montagne du même pays, celle de Tatama au Choco est au contraire très célèbre sous ce rapport. L’espèce que l’on considère comme particulièrement redoutable est très petite, et le corps n’a guère plus d’un pouce et demi de longueur ; la couleur est pour les parties supérieures d’un noir foncé avec des dessins bizarres en orangé vif. L’animal semble être vêtu d’un san-benito semé de flammes, et tout son aspect a réellement quelque chose de diabolique.

Les crapauds de cette espèce vivent, à ce qu’il paraît, pendant la plus grande partie de l’année dans de profondes retraites ; du moins on ne les voit apparaître à la surface que pendant la saison des pluies ; mais alors ils se montrent en si grande abondance, qu’on ne peut, pour ainsi dire, faire un seul pas sans être exposé à en fouler aux pieds. Lorsque approche le temps de leur apparition, on voit arriver de tous les côtés des Indiens sauvages, et il y en a qui viennent de fort loin. Ils ont préparé d’avance quelques brochettes de bambou, et une grande quantité de flèches faites des fibres du pétiole de certains palmiers. Ces flèches destinées à être lancées avec la sarbacane n’ont pas plus de dix-huit pouces de long et à peine une ligne de diamètre ; elles sont extrêmement acérées, et, lancées par un habile tireur, elles peuvent, à vingt pas, pénétrer dans les chairs d’un animal jusqu’à un pouce ou un pouce et demi de profondeur.

En arrivant, le premier soin de l’Indien est de construire une sorte d’échafaudage sur lequel il puisse dormir sans crainte des serpens qui dans ce canton, et même dans tout le Choco, sont très nombreux et très redoutables ; puis de mettre à l’abri ses provisions qui consistent habituellement en chairs boucanées de singe, de pécari ou de tapir. C’est l’affaire de quelques heures seulement. Le lendemain de grand matin, après avoir ranimé son feu, il va à la recherche des crapauds. Dès qu’il en aperçoit un, il l’arrête en plaçant sur le corps le pouce du pied gauche, puis il embroche l’animal d’arrière en avant, et continue ainsi jusqu’à ce que toutes les brochettes dont il s’était muni soient garnies chacune d’une demi-douzaine de crapauds. Alors il revient vers son gîte. Prenant successivement chaque brochette, il la présente au feu de manière à ce que le dos de tous les crapauds soit tourné de ce côté. Dès que ces animaux, qui sont encore vivans, sentent la chaleur, ils se couvrent de la li-