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SCIENCES NATURELLES.

(année 1687), qu’un enfant fut atteint d’une éruption très grave parce qu’un autre enfant lui avait tenu pendant quelques instans un crapaud devant la bouche.

Les chiens semblent connaître l’effet irritant de la liqueur qui exsude de la peau des crapauds, et quoique presque tous, hors ceux qui ont été dressés pour la chasse, poursuivent ces animaux lorsqu’ils les voient s’enfuir devant eux, ils se contentent le plus souvent, après les avoir atteints, de les arrêter en leur mettant la patte sur le corps ; tout au plus leur donnent-ils un seul coup de dents. Il n’y a que les plus ardens bouldogues qui mordent un crapaud à plusieurs reprises ; mais quand ils ont fait un pareil exploit, on ne tarde guère à s’en apercevoir au gonflement de leurs lèvres et au malaise qu’ils manifestent. Ils se frottent le museau, secouent la tête comme s’ils étaient assaillis par un essaim de guêpes et font entendre des gémissemens qui expriment à la fois l’impatience et la douleur.

J’ai vu dans la montagne de Quindiù, en Amérique, un chien se précipiter sur un petit crapaud et l’avaler tout d’un trait ; mais le pauvre animal était à ce moment pressé d’une faim qui devait lui faire surmonter ses répugnances habituelles : depuis plus de cinq jours il n’avait rien mangé. Au reste, ce repas ne lui fut guère profitable, car après deux heures de souffrances, il rejeta le crapaud entier et enveloppé comme dans un sac de mucosités épaisses. Cette sécrétion par sa nature, comme par son abondance, était un indice de l’extrême irritation qu’avait causée dans l’estomac du chien la liqueur exsudée de la peau du reptile. Mon guide cependant interpréta le fait d’une manière toute différente : « voilà mon chien purgé, dit-il, en passant tout d’un coup de l’inquiétude à la joie, et désormais il va se porter mieux qu’il n’a fait de sa vie ; voyez, toutes les mauvaises humeurs qu’il avait dans le corps se sont réunies autour du crapaud, et l’en voilà débarrassé. C’est un fait bien certain, ajouta-t-il, que toutes les choses semblables s’attirent entre elles, et vous en avez ici la preuve ; pour moi, il y a long-temps que j’en suis convaincu, aussi je ne permets pas que dans ma maison on inquiète les crapauds, les geckos ou les araignées. Ces animaux sont comme des éponges qui absorbent ce qu’il y a de mauvais dans l’air et le purifient pour notre usage. Ce n’est pas sans dessein, croyez-le bien, que la Providence leur a inspiré le désir de s’approcher de nos demeures. »

C’est ainsi que raisonnait mon guide, et c’est ainsi qu’ont souvent raisonné des hommes qui dans leur temps étaient écoutés comme des oracles. Il n’avait pas cependant puisé ses idées dans leurs écrits, car il ne connaissait pas une lettre, et n’avait jamais vu d’autre livre que le bréviaire de son curé. Au reste, pendant quinze jours que je parcourus avec lui la