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une sorte de recrudescence, et se remue, se loge dans un nombre croissant de jeunes ames. Elle y revient, non plus comme faculté heureuse et naturelle, mais comme une maladie pénétrante, subtile, une affliction plutôt qu’un don, une rosée amère à des tempes douloureuses. La finesse naïve de ces ames sensibles, passionnées, saintement ambitieuses, en opposition avec l’atmosphère inclémente où elles vivent, s’altère bientôt et contracte presque immanquablement une irritation, une âcreté cachée, qui passe dans l’art, et que la sérénité des belles œuvres précédentes ne connaissait pas. Les œuvres nouvelles, qui sortent de ces luttes infinies, de ces mondes intérieurs de souffrances, d’analyses, de pointillemens, peuvent être belles encore, belles comme des filles engendrées et portées dans les angoisses, belles de la blancheur des marbres, de complexion bleuâtre, veinées, perlées et nacrées, mais sans une certaine vie primitive et saine.

Si les œuvres de la poésie primitive, non encore arrivée à une culture régulière, peuvent se comparer à des fruits sauvages, assez âpres ou quelquefois fort doux, produits par des arbres francs et détachés au hasard sous la brise ; si, au milieu de cette nature agreste, quelques grands poèmes divins, formés on ne sait d’où, semblent tomber des jardins fabuleux des Hespérides ; si les œuvres de la poésie régulièrement cultivée sont comme ces magnifiques fruits savoureux, mûris et récoltés dans les vergers des nations puissantes et des rois, on peut prétendre que les œuvres de cette poésie des époques encombrées et déjà grêlées ne sont pas des fruits, à vrai dire ; ce sont des produits rares, précieux peut-être, mais non pas nourrissans. Il y a dans les fleurs des couleurs brillantes et des beautés qui sont de véritables dégénérations déguisées. La perle, si chère aux poètes, n’est rien autre chose, dit-on, qu’une production maladive d’un habitant des coquilles sous-marines, qui répare, comme il peut, son enveloppe entamée. L’encens, non moins cher à la poésie, et qui par son parfum rappelle si bien celui de quelques œuvres mystiquement exquises dont nous aurons à parler, l’encens lui-même n’est guère qu’une aberration de la vraie sève, un trésor lent sorti d’une blessure, et douloureux sans doute au tronc qui le distille. Si l’art, la poésie, se doivent jamais appeler le produit précieux d’un