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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

avec Stello, le raisonnement avec le docteur noir peut l’accompagner de ses hargneuses chicanes, je demande qu’on me pardonne si, dans l’admirable histoire du capitaine Renaud, qui faisait naître mes larmes, j’ai noté, chemin faisant, de petits désaccords, pour me rendre compte de ce manque de complète vraisemblance chez M. de Vigny. Eh bien ! le capitaine Renaud nous dit, par exemple, qu’il n’a pas mangé depuis vingt-quatre heures et que cela éclaircit les idées pour un récit, ce qui est difficile à admettre. Une obscurité absolue règne, nous dit-on, dans les rues, sur les boulevarts, et tout d’un coup, à un moment où, dans l’intérêt du récit, on a besoin de lire une lettre, il se trouve qu’un café est éclairé à propos et que cette lettre peut se lire : le capitaine Renaud aurait bien pu, ce semble, prendre dans ce café quelque chose. À un endroit, nous le voyons entrer, par abnégation, dans cette obscure infanterie de ligne, où les rangs se pressent et aussi se fauchent comme les épis de Beauce en été : exacte et saisissante image ! Avant la fin du paragraphe, il se trouve être lieutenant, non pas dans la ligne, mais dans la garde, et par conséquent très sujet à être vu et reconnu de Napoléon. À un autre endroit, il cite Grotius, ce qui sent fortement son érudit ; passe encore quand il ne citait qu’Ossian ! Mais le vieil adjudant sous-officier, dans la Veillée de Vincennes, ne décrivait-il pas lui-même bien mignonnement la dame rose du parc de Montreuil ? Encore une fois, pardon de noter de semblables bagatelles ! c’est que le principe d’où partent ces inadvertances légères, s’étend insensiblement à tout le récit et lui ôte un air de réalité, au milieu de beautés philosophiques et pathétiques du premier ordre. Quelques petites exagérations de couleur vont jusqu’à affecter la simple et probe figure de Collingwood. Qu’y faire ? Supposez le portrait d’un Washington par un Lawrence, et vous aurez des défauts approchans. Dans Stello, l’histoire d’André Chénier serait parfaite à mon sens et de poésie et de vérité, sans la scène arrangée chez Robespierre, où mille petites invraisemblances accumulées composent une impossibilité énorme. Mais ce qui est beau sans mélange, c’est la prison, le réfectoire, c’est cette galanterie refleurissant à Saint-Lazare, comme une île de verdure sur un marais croupissant ; c’est le noble André brusque et tendre. Mlle de Coigny et sa coquetterie