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je me sens assis sur une roche de diamans, quand je songe au jugement de Dieu, qui fait justice au génie par l’estime du sage. »

Le nom de Vico s’est trouvé fréquemment accolé à celui de Herder, qui fut traduit à peu près à la même époque par M. Edgar Quinet, et à celui de Bossuet. M. Jouffroy lui-même a consacré un de ses articles du Globe à la comparaison de ces trois colosses de la philosophie de l’histoire. Ce rapprochement nous semble peu justifié ; ce sont trois directions complètement opposées. J’excluerai de cette trinité de révélateurs, Herder, qui a élevé à la puissance de cause générale un détail historique sans influence, je veux parler de l’action de la nature et du climat sur les races. Herder est un grand poète, un harmonieux écrivain, un conteur estimable ; ce n’est point un philosophe qui puisse marcher de front avec Vico. Les spéculations germaniques n’ont rien de la netteté et du génie d’application qui caractérisent Vico, Bacon, Condorcet. Quant à Bossuet, son principe n’est point fécond ; l’intervention constante et perpétuelle de la Providence détruit la liberté humaine, sans expliquer davantage les faits douteux ou obscurs. Il n’en est pas de même du système de Vico. Vico est véritablement le fondateur de la philosophie de l’histoire, et c’est de sa théorie du progrès circulaire qu’est sortie l’école du progrès moderne.

M. Michelet, aujourd’hui un de nos plus brillans et de nos plus laborieux écrivains, hésita long-temps, dit-on, entre l’histoire et la philosophie. Doué d’une rare puissance d’abstraction, un penchant naturel lui faisait préférer Platon à Thucydide ; mais cette ame active et généreuse, après avoir parcouru les hautes régions de la philosophie, se trouva bientôt atteinte par le doute. Effrayé et malade, M. Michelet quitta cet air trop vif pour sa raison, et se réfugia dans l’histoire. Tantôt ses instincts philosophiques l’emportent, et il traduit Vico ; tantôt il sent le besoin de se plonger dans l’étude des hommes et la contemplation des faits, et rassemble les Mémoires de Luther ; compose pour ses élèves des Tableaux Synchroniques, et écrit son Introduction à l’histoire universelle ; enfin il réunit et confond ces deux courans électriques dans son Histoire de France.

Ces Mémoires de Luther sont disposés suivant l’ordre chronologique, ce qui jette quelquefois un peu de confusion, tant est bizarre, irrégulière et saccadée la vie de ce puissant réformateur. Si l’on était en droit de reprocher à M. Michelet d’être trop souvent intervenu dans l’œuvre de Vico, on regrette au contraire qu’il ne se soit pas plus fréquemment substitué à Luther. Ces nombreuses citations manquent de ciment pour boucher les intervalles. On croirait voir un de ces monumens gaulois