Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/274

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
270
REVUE DES DEUX MONDES.

je n’en ai de ma vie rien su, sinon qu’elle se promène ici l’après-midi, et que j’ai soufflé sur nos vitres pour la voir marcher dans l’allée.

GUILLAUME.

Si tu n’es pas amoureux d’elle, pourquoi dis-tu que tu serais resté ? Il n’y avait rien de mieux à faire que ce qu’a fait justement Landry ; aller conter nettement la chose à maître André, notre patron.

FORTUNIO.

Landry a fait comme il lui a plu. Que Roméo possède Juliette ! Je voudrais être l’oiseau matinal qui les avertit du danger.

GUILLAUME.

Te voilà bien, avec tes fredaines ! Quel bien cela peut-il te faire que Jacqueline ait un amant ? C’est quelque officier de la garnison.

FORTUNIO.

J’aurais voulu être dans l’étude ; j’aurais voulu voir tout cela.

GUILLAUME.

Dieu soit béni ! c’est notre libraire qui t’empoisonne avec ses romans. Que te revient-il de ce conte ? d’être Gros-Jean comme devant. N’espères-tu pas, par hasard, que tu pourras avoir ton tour ? Hé ! oui, sans doute, monsieur se figure qu’on pensera quelque jour à lui. Pauvre garçon ! tu ne connais guère nos belles dames de province. Nous autres, avec nos habits noirs, nous ne sommes que du fretin, bon tout au plus pour les couturières. Elles ne tâtent que du pantalon rouge, et une fois qu’elles y ont mordu, qu’importe que la garnison change ? Tous les militaires se ressemblent ; qui en aime un en aime cent. Il n’y a que le revers de l’habit qui change, et qui de jaune devient vert ou blanc. Du reste, ne retrouvent-elles pas la moustache retroussée de même, la même allure de corps-de-garde, le même langage et le même plaisir ? Ils sont tous faits sur un modèle ; à la rigueur elles peuvent s’y tromper.

FORTUNIO.

Il n’y a pas à causer avec toi ; tu passes tes fêtes et dimanches à regarder des joueurs de boule.

GUILLAUME.

Et toi, tout seul à ta fenêtre, le nez fourré dans tes giroflées. Voyez la belle différence ! Avec tes idées romanesques tu deviendras fou à lier. Allons, rentrons ; à quoi penses-tu ? il est l’heure de travailler.

FORTUNIO.

Je voudrais bien avoir été avec Landry cette nuit dans l’étude.

(Ils sortent. Entrent Jacqueline et sa servante.)