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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/293

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LE CHANDELIER.

FORTUNIO.

Elle est faite pour vous, madame ; je meurs d’amour, et ma vie est à vous.

(Il se jette à genoux.)
JACQUELINE.

Vraiment ! Je croyais que votre refrain défendait de dire qu’on aime.

FORTUNIO.

Ah ! Jacqueline, ayez pitié de moi ; ce n’est pas d’hier que je souffre. Depuis deux ans, à travers ces charmilles, je suis la trace de vos pas. Depuis deux ans, sans que jamais peut-être vous ayez su mon existence, vous n’êtes pas sortie ou rentrée, votre ombre tremblante et légère n’a pas paru derrière vos rideaux, vous n’avez pas ouvert votre fenêtre, vous n’avez pas remué dans l’air, que je ne fusse là, que je ne vous aie vue ; je ne pouvais approcher de vous, mais votre beauté, grâce à Dieu, m’appartenait comme le soleil à tous ; je la cherchais, je la respirais, je vivais de l’ombre de votre vie. Vous passiez le matin sur le seuil de la porte, la nuit j’y revenais pleurer. Quelques mots, tombés de vos lèvres, avaient pu venir jusqu’à moi, je les répétais tout un jour. Vous cultiviez les fleurs, ma chambre en était pleine. Vous chantiez le soir au piano, je savais par cœur vos romances. Tout ce que vous aimiez, je l’aimais ; je m’enivrais de ce qui avait passé sur votre bouche et dans votre cœur. Hélas ! je vois que vous souriez. Dieu sait que ma douleur est vraie, et que je vous aime à en mourir.

JACQUELINE.

Je ne souris pas de vous entendre dire qu’il y a deux ans que vous m’aimez, mais je souris de ce que je pense qu’il y aura deux jours demain.

FORTUNIO.

Que je vous perde, si la vérité ne m’est aussi chère que mon amour ! que je vous perde, s’il n’y a deux ans que je n’existe que pour vous !

JACQUELINE.

Levez-vous donc ; si on venait, qu’est-ce qu’on penserait de moi ?

FORTUNIO.

Non ! je me lèverai pas, je ne quitterai pas cette place, que vous ne croyiez à mes paroles. Si vous repoussez mon amour, du moins n’en douterez-vous pas.

JACQUELINE.

Est-ce une entreprise que vous faites ?