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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/352

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ment considéré une intervention décisive en Espagne comme plus importante pour le sort de la monarchie de 1830 que l’interdiction légale d’en discuter le principe. Il est visible que s’il y a lacune dans le système en général bien lié des rapports extérieurs de la France, que si ce système est menacé par quelque point, c’est par ces affaires d’Espagne, plaie profonde qui s’élargit d’heure en heure. Tout modéré que soit ce système, il n’a pu s’établir, il ne peut durer que sous la condition d’oser beaucoup, de rester maître absolu dans la sphère où l’on circonscrit sagement son action, et de dominer à sa porte en renonçant à dominer au loin.

Nous devons avoir les yeux constamment ouverts sur ce qui se passe à Madrid pour être autorisés à les fermer sur ce qui se passe à Varsovie. La France, quelles que fussent ses douleurs, devait à son avenir, à la civilisation dont elle garde le dépôt, de laisser succomber, non la Pologne immortelle, mais toute une génération de héros. Moins d’inégalité dans une lutte où son intervention aurait appelé celle de trois puissances, voilà tout ce qu’elle pouvait garantir à une nation infortunée, et le système de paix, admis comme un devoir envers le monde et envers soi-même, devait affronter cette terrible épreuve avec la conscience de bien faire. La France ne doit rien à la Pologne que des larmes, jusqu’au jour où des modifications inévitables dans l’état politique du monde, qui se disloque à l’Orient, lui permettront, dans toute la plénitude de sa volonté et de sa force, d’exercer une intervention décisive, d’où peut sortir, avec d’autres combinaisons nouvelles, un meilleur sort pour un peuple si souvent martyr, et qui recevra peut-être de l’expérience éclairée de l’Europe ce qu’il a vainement espéré de son courage.

En attendant l’instant d’entrer dans des voies où la Russie ne pourra marcher sans la France, et où notre concours devra se faire acheter par des conditions utiles à l’Europe, la question polonaise ne saurait provoquer des négociations de quelque importance. À quelques notes fondées sur des textes peu précis, il aura été répondu par des notes où ces textes auront reçu une interprétation différente. Que faire à cela ? L’honneur de la France consiste-t-il à tout empêcher, ce que la Providence elle-même ne saurait faire, ou ne tiendrait-il pas plutôt à conserver ses coudées franches à Madrid et à Bruxelles, comme la Russie les a en Pologne, l’Autriche en Italie, les deux grandes monarchies allemandes dans les affaires de la confédération ?

Cette situation provisoire durera jusqu’au moment où la grande débâcle qui s’apprête vers le Bosphore changera l’attitude réservée de la politique européenne, et lui ouvrira devant elle un champ immense et