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chevaleresques s’étant dissipées, M. Hugo a continué sa série d’odes ou pièces politiques et sociales, avec une pensée plus mûre, vraiment progressive, honnête et indépendante, aidée d’une incomparable imagination. Mais, dans toutes ces pièces récentes, louables de pensée, grandioses de forme, sur le bal de l’Hôtel-de-Ville, sur le galas du budget ; dans ces prières à Dieu sur les révolutions qui recommencent ; dans ces conseils à la royauté d’être aumônière comme au temps de saint Louis ; dans ce mélange, souvent entrechoqué, de réminiscences monarchiques, de phraséologie chrétienne et de vœux saints-simoniens, il n’est pas malaisé de découvrir, à travers l’éclatant vernis qui les colore, quelque chose d’artificiel, de voulu, d’acquis : toute cette portion des Chants du Crépuscule me fait l’effet d’une tenture magnifique dressée tout exprès pour une scène.

C’est en ce qui tient davantage à la méditation, à l’élégie, que M. Hugo nous semble avoir, dans les Chants du Crépuscule, produit quelques-unes de ces choses de l’ame et de l’imagination, qui sont venues plutôt que voulues. De ce nombre, la belle pièce xiii sur les suicides multipliés, plusieurs pièces d’amour qui sont de véritables élégies, XXI, XXIV, XXV, XXVII, surtout la vingt-neuvième, qui commence par ces vers :


Puisque nos heures sont remplies
De trouble et de calamités ;
Puisque les choses que tu lies
Se détachent de tous côtés.


Cette dernière est, selon nous, d’une beauté de mélancolie, d’une profondeur rêveuse et d’une tendresse de cœur à laquelle n’avait pas atteint jusqu’ici le poète. Pas un mot n’y choque, pas un son n’est en désaccord avec la note fondamentale. Tout y est funèbre sans désespoir, tout y est religieux sans faux emblème. D’ordinaire, le dessin de l’auteur, dans ses moindres pièces, est précis ; il dira, par exemple, à sa maîtresse au bord de la mer : « Vois-tu ceci (grande description du golfe, du rivage), c’est la terre ! vois-tu ceci (grande description des nuages, du couchant), c’est le ciel ! Eh bien ! ni le ciel ni la terre ensemble ne valent l’amour (grande description de l’amour). » Mais ici rien de tel, aucun