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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/378

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se dirigent vers les états du nord de l’Amérique. Il a même proposé de leur accorder des immunités pour les décider à venir s’y établir, et y continuer une culture dont il n’est pas impossible de pressentir l’abandon de la part de la population noire. Nous pouvons même ajouter à ceci le passage suivant du Journal de la Marine, des Colonies, des Consulats, du 11 février 1835 : « Le gouvernement anglais, sérieusement occupé de ses colonies, s’y prend à l’avance pour essayer de nouveaux moyens de colonisation, qui deviendraient indispensables, si les noirs affranchis persistaient dans leur indolence et dans leur peu de goût pour le travail salarié. Des navires anglais viennent prendre des habitans de l’archipel des Açores pour peupler l’île de la Trinidad, où ils les transportent avec l’espoir d’y acclimater une active et bonne population. »

Ce n’est pas, du reste, sans motif que le gouvernement anglais témoigne ces craintes au sujet du sort futur de ses colonies, et l’on peut même dire qu’à ce sujet il n’en est plus aux appréhensions. On lit dans le Guyana Cronicle, du 9 janvier 1835, que dans les six derniers mois de 1833, c’est-à-dire dans l’année qui a précédé le bill d’émancipation, les récoltes en sucre ont été, dans la colonie, de 31,325 barriques, 1468 trèvçons et 2466 barils ; et que dans les six derniers mois de 1834, c’est-à-dire dans l’année qui a immédiatement suivi le bill, les mêmes récoltes ont été de 22,293 barriques, 1274 trèvçons et 1694 barils. Le déficit de la récolte des cafés, durant la même période, avait été de 1,581,880 livres ; et cependant le nouveau système d’exploitation n’avait pas pu marcher dans une augmentation de dépenses équivalente à 50 livres sterling par mois sur chaque habitation produisant environ 300 barriques de sucre.

Tout cela contraste bien tristement avec les belles idées dorées que nous nous faisons en France sur l’émancipation des esclaves ; il est amer de penser que la liberté, dont nous faisons, nous autres, un si profitable et si noble usage, ne serve, pour d’autres hommes et dans d’autres lieux, qu’à détruire les bons résultats obtenus par l’esclavage. Heureux encore si ce désappointement nous rendait plus sages à l’endroit des théories, et s’il nous portait à nous prémunir, en matière de politique, d’un défaut inhérent d’ailleurs aux bonnes natures, celui de trop bien présumer des hommes.

Qui se serait jamais attendu à voir, à connaître, à éprouver que des esclaves ne seraient pas sensibles au bienfait de la civilisation qu’on leur apporte, et qu’ils ne reconnaîtraient ce beau présent de la liberté, que pour la faire servir à la fainéantise et au vagabondage ! Nous autres,