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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/379

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DE L’ÉMANCIPATION DANS NOS COLONIES.

nous faisons de beaux calculs, qui n’ont d’autre défaut que de reposer sur de fausses données, que de compter sans l’hôte, comme dit le proverbe. Nous établissons fort savamment qu’en général le travail des esclaves est au travail des libres d’Europe comme 4 est à 30, ce qui peut être vrai ; et puis nous concluons que, dès que les esclaves seront libres, leur travail deviendra ce qu’est le travail des libres, c’est-à-dire à peu près huit fois plus productif.

Cette pauvre arithmétique est, de toutes les bêtes de somme, la plus patiente et la plus solide, et celle qui porte nos bévues et nos folies avec le plus d’obligeance et de commodité. Certainement, le travail des esclaves est de beaucoup au-dessous du travail des libres, et pour de bonnes raisons de plus d’une espèce. D’abord, dans le cas des colonies d’Afrique et d’Amérique, les esclaves sont des noirs, race que l’expérience fait reconnaître comme peu intelligente et peu active. Ceux qui ont vu les Antilles et les autres colonies à nègres, sont demeurés tout surpris de la lenteur inouie que les libres de race africaine mettent eux-mêmes dans leurs travaux. Et certes, il n’est pas nécessaire d’aller si loin pour comprendre qu’il y a différentes races qui sont plus ou moins propres à divers emplois, et qui les remplissent avec plus ou moins d’ardeur, plus ou moins d’adresse, plus ou moins de célérité. L’histoire nous apprend que les îles Baléares fournissaient autrefois aux armées romaines d’excellens frondeurs, lesquels auraient été de détestables cavaliers. Il en est de l’agriculture comme de la guerre, comme de tout ; on n’y est pas également apte. Le capitaine John Ross raconte, dans l’histoire de son dernier voyage, que les habitans des terres les plus septentrionales de l’Amérique font un trou à la glace, et attendent quelquefois douze heures en silence et sans bouger qu’un veau-marin y vienne renouveler l’air de ses poumons, pour le saisir. Il est fort probable que ces intrépides pêcheurs ne doivent pas être doués d’une nature très pétulante. Il paraît certain que les nègres sont ainsi fort lents à tout ce qu’ils font, ce qui entraîne une grande perte de temps. C’est donc un calcul très faux d’imputer à l’esclavage seul la lenteur des nègres à l’ouvrage, et de supposer qu’une fois libres, ils ressembleront en tout aux ouvriers européens. Il était d’ailleurs bien facile de se convaincre du contraire. Il y a beaucoup de nègres libres, et leur travail n’est guère plus productif que celui des esclaves.

Et puis, enfin, c’est une erreur fort grave d’aller s’imaginer qu’il y ait une magie si puissante attachée à ce beau et grand mot de liberté, qu’il suffise de le prononcer pour opérer des prodiges. Ce que nous