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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/400

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REVUE DES DEUX MONDES.

que couchées, ne roulant dans leur fragile cerveau qu’une seule idée, celle de se débarrasser de leurs liens. — « Regardez celle-là, nous dit la sœur, trois hommes pourraient à peine en venir à bout, si elle était libre. » — Je passai tout près du lit. C’était une jeune femme, horriblement abattue, les joues caves et enflammées, respirant avec une sorte de rage, mais d’une figure singulièrement noble et intéressante ; elle n’avait pas dû être amenée là par des douleurs ordinaires, et sa folie n’était peut-être qu’une ame trop forte, servie par des organes trop fragiles. Je demandai son histoire. On ne la savait pas. Les familles qui envoient à l’hospice un de leurs membres, ne livrent pas toujours le secret de cette terrible séparation ; car souvent ce secret pourrait être une honte pour elles ou pour les victimes. Je n’avais pas assez de sang-froid pour faire des romans sur cette physionomie ravagée ; mais je crus voir, au mouvement de ses lèvres quand nous passâmes, une intelligence blessée qu’on la surprît dans son égarement, et cette sorte de pudeur d’un fou qui a quelque obscur ressouvenir de sa raison perdue. Peut-être, au moment où j’écris, cette malheureuse est-elle morte. Sa folie n’était pas seulement une désorganisation du cerveau ; tout son être avait été atteint à la fois par le même mal, et elle brûlait lentement dans son lit, où l’ingénieuse charité des sœurs cherchait en vain à la rafraîchir. « Elle ne peut guère aller loin, » disait la jeune sœur, en femme déjà prête à ensevelir de ses mains pâles celle que la mort allait dérober à sa douce surveillance. Ce mot si froid et si banal était dit avec un accent si angélique, que je me figurai le bon ange que la religion donne à chacun de nous, regardant mourir son compagnon terrestre, avec ce faible et doux regret d’un gardien qui sait où va, au sortir de la vie, l’être qui lui était confié.

— « Nous allons en voir qui sont furieuses sans être malades, » nous dit-elle en nous faisant monter à l’étage supérieur. « Celles-là nous déchireraient de leurs ongles et de leurs dents, si nous les lâchions. »

Quelle horreur que de telles paroles se disent d’êtres qui sont semblables à nous, et qui comme nous ont sucé le lait d’une mère !

En ce moment il n’y en avait que deux. On les tient dans des cellules en forme de cages, bien fermées, épaisses, garnies de bar-