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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/403

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L’HOSPICE DES ALIÉNÉES À GAND.

bécilité complète, horrible de laideur, les lèvres pendantes, l’œil lourd, et, pour comble, muette et sourde, vint la prendre par-dessous le bras, d’un air caressant, et l’entraîna du côté opposé. La folle suivit l’imbécille comme l’enfant suit sa mère. Ce fut, de toutes les choses que j’avais vues dans cette triste demeure, la plus étrange et la plus mystérieuse : une amitié entre deux êtres sans raison ; une lueur de cœur dans la nuit de deux intelligences détruites.

Il était temps de sortir. Une heure passée à voir des folles est une épreuve trop forte. Je tâtais ma raison épouvantée, comme si j’avais eu peur de n’en remporter que la moitié. Nous sortîmes par un des corridors du rez-de-chaussée, où donnent les chambres des religieuses. L’une d’elles, assise à un piano, jouait un air de musique d’église. Le peu que j’en entendis m’alla au cœur et calma le trouble inexprimable où m’avaient jeté toutes ces horreurs. C’était chose si inattendue et si douce que quelques notes harmonieuses dans un coin de cette maison de malheur, où la voix humaine a perdu son accent naturel, et n’est plus qu’un long gémissement articulé ! Et puis, cette marque d’une éducation délicate, où la musique avait eu sa part, ajoutait tant de prix au sacrifice de ces saintes filles ! Je témoignai à la jeune sœur, peut-être indiscrètement, combien il me paraissait sage que la rigueur de l’institution ne leur interdît pas ces douces récréations, le seul souvenir qui leur restât du monde, et que la religion, qui obtenait d’elles tant de dévouement, leur permît de s’en délasser par la musique, le plus chaste et le plus religieux des plaisirs.

Comme nous lui faisions nos remerciemens et nos adieux, je sentis quelque chose qui s’embarrassait dans mes jambes. Oh ! malheureuse la femme qui a donné le jour à l’enfant que je vis rampant sur le carreau, les membres noués, la bouche baveuse, l’œil sans regard, pauvre être repoussant qui n’aurait pu être caressé même par sa mère ! Il était là, plus inutile qu’une bête. La civilisation antique l’eût fait jeter dans le barathre ; la civilisation moderne le nourrira, le couchera, l’habillera jusqu’à sa mort : de quel côté est la pitié ?

On vante aussi beaucoup à Gand l’hospice des hommes aliénés : je parlai d’y faire une visite.