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côtés desquels ne s’élevait plus une pierre, et le paysan qui me conduisait m’avait dit : — Ceci s’appelle la rue des Orfèvres ; cette autre, la rue des Forgerons ; cette troisième, la rue des Sculpteurs. Et j’avais regardé avec épouvante ce vaste désert où ne bruissaient plus que le vent et la mer, et qui avait été une cité opulente, abritant à son ombre sept cents joyeux navires ! Je n’étais pas encore remis de l’étonnement rêveur dans lequel m’avait jeté cet aspect ; mais à Commana je devais être arraché à mes méditations et trouver l’occasion d’oublier les ruines que je quittais devant des ruines bien autrement touchantes : celles d’un beau génie se détruisant dans l’obscurité et la misère.

Mon ami m’attendait, et nous passâmes une douce soirée. Comme moi, il avait habité loin de son pays assez de temps pour avoir appris à l’aimer. Nous parlâmes de la Bretagne, et c’est un riche sujet d’entretien quand on est Breton, qu’on se comprend, et qu’on est assis sous une tonnelle de clématites, d’où l’on entend les cris des pâtres de l’Arrez qui vous arrivent avec le parfum du blé noir et les sauvages modulations des flûtes de sureau. Tout en causant, Frantz me parla avec un vif intérêt d’un menuisier de campagne qui demeurait sur le coteau voisin, et qu’il me cita comme doué de dispositions merveilleuses pour la mécanique. Nous convînmes de l’aller voir le lendemain.

En effet, dès que le jour parut, nous nous acheminâmes vers la demeure de Jahoua. Le soleil dorait les montagnes à l’orient ; les bruyères se déroulaient au loin tachetées de moutons noirs ; tout ce qui nous entourait était stérile. Pas un arbre, pas une haie, pas un coin de verdure. Quelques sillons de sarrazin en fleur jetaient seuls, aux pieds des landes, leur frange neigeuse ; et cependant le soleil qui se levait, les nuages rosés qui se roulaient sur le bleu de l’horizon, le vent du matin qui soupirait dans les fougères, donnaient à cette campagne je ne sais quelle beauté agreste. Il y avait là de l’air, un plein ciel, quelques merles qui sifflaient dans les joncs de la vallée. On sentait passer dans l’air ce souffle fort et vivifiant des campagnes, ce souffle qui fait chanter les oiseaux et épanouir les fleurs. Aussi nous avancions-nous causeurs et joyeux, tout imprégnés de la délicieuse fraîcheur du matin.

En arrivant sur le coteau, Frantz me fit voir de loin la maison singulière dans laquelle logeait le menuisier. Ce n’était autre chose qu’un vieux colombier recouvert d’un toit de chaume, et dans lequel des fenêtres irrégulières avaient été percées. Mon ami m’apprit que la femme de Jahoua, qui était noble, avait reçu en héritage cette ruine avec le demi-journal de landes qui l’entourait, et que son mari l’avait transformée en maison d’habitation, ainsi que je le voyais.