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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/427

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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

à la concentration de la chaleur et à sa réflexion. Il en avait fait une véritable cheminée à la Rumford.

— Il avait donc vu des foyers modernes ? dis-je à Frantz.

— Jamais, me répondit-il. Il n’en existe pas un seul, que je sache, dans tout le canton, et Jahoua n’a jamais quitté les environs de son village. Du reste, je vous l’ai dit, Jahoua n’imite guère ; il crée ou perfectionne. Vous verrez chez moi un tourne-broche de son invention qui sonne pour avertir de le remonter. Il a fabriqué, pour un de nos agriculteurs, un hache-racines et un pile-landes avec lesquels un enfant de douze ans fait l’ouvrage de trois hommes. Lui-même, il ne pourrait vous dire de combien de découvertes de ce genre il est l’auteur. Dès qu’on aperçoit dans le pays un ustensile inusité et plus commode, une mécanique simple et ingénieuse, on peut dire avec certitude : — C’est Jahoua qui a fait cela. Si ses essais continuels ne le ruinaient, il vivrait à l’aise pour le pays, c’est-à-dire qu’il pourrait manger du lard une fois par semaine et du pain une fois par jour. Mais quand ses crises de méditations créatrices lui prennent, il néglige son travail ordinaire, mécontente ses pratiques, et les perd. Du reste, Jahoua n’est pas un ouvrier ordinaire. Il a étudié trois ans pour être prêtre, et a reçu les premiers élémens d’une instruction classique. Il a même retenu quelques bribes de latin, qu’il aime parfois à semer dans la conversation avec une coquetterie pédantesque qui n’est pas exempte d’orgueil. C’est une intelligence excentrique et maladive qui ne prend jamais le grand chemin, et que tourmente sans cesse une fièvre d’inspiration. L’esprit de Jahoua fait la chasse aux découvertes, comme les braconniers tyroliens font la chasse aux chevreuils, sans trêve, sans repos, sans découragement, avec une passion furieuse et incessante. C’est un monomane dont la folie a un but utile. Sa fougue d’imagination se révèle dans ses combinaisons mécaniques, aussi bien que dans ses conceptions d’artiste. Les mathématiques et la poésie vivent en communauté dans son cerveau. Malheureusement, les moyens d’exécution lui font faute. Jahoua était né pour commander à des ouvriers, et non pour être ouvrier lui-même ; c’était la main intelligente appelée à conduire l’outil, et non le manche destiné à y être soudé. Aussi est-ce un homme profondément malheureux. Il ne vous le dira pas, il ne se l’est peut-être jamais dit à lui-même ; mais observez-le bien, suivez les attitudes de son ame, vous découvrirez, par instans, des mouvemens gênés et douloureux qui indiquent une blessure cachée, mais profonde.

Comme Frantz achevait de parler, Jahoua entra avec un prêtre. Au premier coup d’œil, je le reconnus pour un de ces curés bons vivans,