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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/505

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REVUE. — CHRONIQUE.

plus habile ministre des affaires étrangères que n’est M. de Broglie, et qui ne prend pas la peine de dissimuler sa pensée à cet égard, ne trouvait-il rien à répondre à M. de Rigny, quand celui-ci se donnait en exemple, lui qui avait cédé sans difficulté le département de la marine à un amiral dont la réputation n’était pas plus illustre que la sienne. M. de Rigny possédait à un haut degré l’art de calmer les ambitions ennemies qui bouillonnaient sans cesse autour de lui, et qui maintenant se trouvent plus que jamais en présence. Sa perte sera vivement sentie par M. de Broghe et par M. Guizot, esprits prévoyans qui ne se jettent pas à l’étourdie dans les affaires, qui en pèsent attentivement les difficultés, et qui n’en livrent pas la solution au hasard ou à un léger mouvement d’humeur et de colère.

Déjà la plaie ministérielle que M. de Rigny bandait chaque jour avec un soin attentif, s’élargit et s’envenime mortellement. Les échos de Grandvaux, indiscrètement réveillés par M. Dupin, dans son discours à la cour de cassation, retentissent encore aux oreilles de M. Thiers. M. Thiers a pris en défiance, comme César, toutes ces figures maigres, jaunes et soucieuses qui l’entourent au conseil. Il soupçonne plus que jamais M. de Broglie et M. Guizot de vouloir le détruire, et l’écraser de leur réputation d’hommes sérieux. De leur côté, les deux chefs du cabinet s’occupent continuellement de M. Thiers ; mais c’est pour le calmer, pour le rassurer et mettre des compresses sur toutes ses égratignures. Chaque jour le ministre de l’instruction publique se rend chez son collègue de l’intérieur, l’air gracieux et satisfait, affectant de croire à ses sérieuses occupations, et si jaloux de ne pas l’offusquer par son importance véritable, qu’il ferait volontiers antichambre chez M. Thiers, pour s’amoindrir un peu et s’effacer. Pendant ce temps, Mme la duchesse de Broglie visite sans façon la famille du ministre de l’intérieur, la fréquente avec assiduité et n’use pas moins d’inutiles efforts auprès d’elle pour se faire bourgeoise et sans éclat, que M. Guizot, dans le cabinet du ministre, pour ne pas exciter l’ombrageuse susceptibilité de son collègue. Nous nous arrêtons, pour n’être pas accusés de vouloir porter atteinte au secret de la vie privée ; mais en vérité, nous ne pouvions expliquer la situation politique, sans montrer un coin de la vie ministérielle. Les vues élevées ne viennent qu’en seconde ligne dans ce ministère tel que l’a fait la présence de M. Thiers ; il fallait donc bien assigner aux petites causes, aux idées mesquines, la place importante qu’elles occupent grâce à lui.

Cette sollicitude de M. de Broglie et de M. Guizot, cette insomnie que leur cause la moindre humeur de M. Thiers, tiennent, on le sait,