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REVUE. — CHRONIQUE.

C’était là, on le voit, un parti dicté par la nécessité bien plutôt que par l’ambition ; une charge, en vérité, presque aussi bien qu’un avantage. De là, la cession de la Corse à la France, par la république ligurienne, dans le traité de Versailles de 1768, et la conquête de l’île par nos troupes, définitivement terminée au combat de Ponte-Novo, en 1769.

Il serait sans doute absurde de nier qu’il soit avantageux à la France d’appuyer sa puissance dans la Méditerranée sur une aussi belle position maritime : la possession de cette île est, à coup sûr, préférable à sa neutralité. La France en est aujourd’hui maîtresse souveraine, et rien ne saurait l’obliger à s’en désemparer ; mais il faut se garder de croire que ce soit là, pour nous, un bien riche trésor, ni que nous soyons tenus à une bien grande reconnaissance envers les Corses, pour l’alliance forcée que nos armes leur ont fait contracter avec nous. Il faut aussi que les exigences insulaires apprennent à ne point se hausser au-dessus du niveau qui leur sied. Si la France était habituée, dans ses rapports avec les autres nations, à se conformer aux calculs de la politique égoïste, il lui aurait été peut-être plus profitable de s’établir seulement dans les positions maritimes qui lui importent, et d’abandonner le reste du pays à lui-même, que de consacrer ses efforts à adoucir et à civiliser ce peuple aigri par une longue et intolérable oppression, et à mettre son territoire rude et inculte en harmonie avec le nôtre.

J’ai jugé utile de marquer ainsi en quelques mots les vrais principes de la politique touchant la Corse. Il est impossible à l’historien de concevoir, comme il le doit pour le digne accomplissement de sa tâche, l’enchaînement intime des faits, et le secret mobile des puissances qui les produisent, s’il ne commence par se bien pénétrer des raisons dominantes qui décident ainsi de tout le reste. Il ne lui est pas moins utile de comprendre le rôle de ses ennemis que celui de ses amis. Ce n’est qu’à cette condition qu’il peut acquérir le coup d’œil impartial qui est si nécessaire pour l’établissement de la vérité, et cesser de voir, dans les évènemens dont le souvenir peut le blesser ou l’affliger, une perpétuelle série d’attentats et d’atrocités que rien ne justifie et n’explique. S’il y a quelques reproches à adresser à l’auteur de l’Histoire de Corse, qui fait le sujet de cet article, c’est précisément dans cette direction qu’il conviendrait de les faire. Ils méritent de passer avant les critiques que l’on pourrait aussi adresser au style, généralement mal tissu et peu soigné. Chez un historien, le fond mérite encore plus d’attention que la forme. Nous regrettons que l’intelligence des nécessités qui gênent l’indépendance de la Corse, ne se soit pas plus clairement révélée à l’esprit de celui-ci. Peut-être ses idées se seraient-elles alors élevées