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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/514

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finitive la Corse aurait à faire respecter l’indépendance, la neutralité de ses eaux, tandis que la Suisse n’a à défendre que ses défilés et ses montagnes.

Aussi voit-on que la Corse ne commence à compter véritablement pour nous que du jour où nos forces maritimes de la Méditerranée ont commencé à peser dans la balance. Jusqu’au milieu du XVIe siècle ce n’est pour nous qu’une île lointaine, indifférente, presque ignorée. Que nous importent ses démêlés avec Gênes ou avec les Pisans ? Nos guerres sont toutes de terre ferme, et notre marine ne fait que de poindre. Ce furent nos démêlés avec Charles-Quint qui introduisirent pour la première fois cette île de Corse dans notre politique. La lutte, par notre ligue avec les flottes ottomanes, devenait méditerranéenne, et dès lors il était naturel que l’on s’avisât de l’importance d’un pareil logement maritime, placé au centre de la mer ; d’ailleurs rien n’était plus merveilleux pour faire une coupure entre l’Espagne et l’Italie. On l’enleva donc aux Génois, qui s’étaient momentanément coalisés avec notre ennemi. Mais ce ne fut là qu’une manœuvre de guerre, un coup de main frappé en passant. Dès le traité de Cateau-Cambresis, voilà la Corse devenue de nouveau inutile à la France, et rendue sous garantie à ses anciens possesseurs.

C’est à partir du milieu du XVIIIe siècle, lors de son insurrection contre la république génoise, que la Corse prend une place réelle et permanente dans l’histoire de France. Tant que Gênes avait eu assez de puissance pour la maintenir sous le joug de fer qu’elle lui avait imposé, cette île n’avait pu être pour nous une cause sérieuse d’inquiétude : Gênes était là pour en répondre. Mais la décadence progressive de la république ligurienne, la résurrection héroïque de la nationalité insulaire sous Paoli, enfin la position de la France, au milieu de la complication des affaires européennes, apportaient dans la politique des élémens inattendus : la question corse demandait une solution nouvelle. Le cabinet français songea d’abord à replacer les choses dans leur ancien état, en donnant aide aux Génois pour regagner leur empire perdu. Ce fut là la base du traité de Compiègne de 1764 ; mais l’antipathie était devenue trop profonde entre les deux états pour que leur rapprochement, à moins d’une contrainte violente et sans cesse en éveil, pût offrir à la France aucune garantie de durée et de solidité. La France ne pouvait donc pas balancer ; il fallait, ou reconnaître l’indépendance de la Corse, ce qui ne cessait d’être réclamé à grands cris par l’Angleterre toujours peu jalouse des intérêts maritimes d’autrui, ou nous en emparer, pour la tenir nous-mêmes sous notre garde.