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LE CAPITAINE RENAUD.

CHAPITRE vii.
Le corps-de-garde russe.

— Est-il possible ? dis-je en frappant du pied. Quand j’entends de pareils récits, je m’applaudis de ce que l’officier est mort en moi depuis plusieurs années. Il n’y reste plus que l’écrivain solitaire et indépendant, qui regarde ce que va devenir sa liberté et ne veut pas la défendre contre ses anciens amis.

Et je crus trouver sur le visage du capitaine Renaud des traces d’indignation au souvenir de ce qu’il me racontait ; mais il souriait avec douceur et d’un air content.

— C’était tout simple, reprit-il. Ce colonel était le plus brave homme du monde ; mais il y a des gens qui sont, comme dit le mot célèbre, des fanfarons de crime et de dureté. Il voulait me maltraiter, parce que l’Empereur en avait donné l’exemple. Grosse flatterie de corps-de-garde.

Mais quel bonheur ce fut pour moi ! — Dès ce jour, je commençai à m’estimer intérieurement, à avoir confiance en moi, à sentir mon caractère s’épurer, se former, se compléter, s’affermir. Dès ce jour, je vis clairement que les évènemens ne sont rien, que l’homme intérieur est tout ; je me plaçai bien au-dessus de mes juges. Enfin je sentis ma conscience, je résolus de m’appuyer uniquement sur elle, de considérer les jugemens publics, les récompenses éclatantes, les fortunes rapides, les réputations de bulletin, comme de ridicules forfanteries et un jeu de hasard qui ne valait pas la peine qu’on s’en occupât.

J’allai vite à la guerre me plonger dans les rangs inconnus, l’infanterie de ligne, l’infanterie de bataille, où les paysans de l’armée se faisaient faucher par mille à la fois, aussi pareils, aussi égaux que les blés d’une grasse prairie de la Beauce. Je me cachai là comme un chartreux dans son cloître ; et du fond de cette foule armée, marchant à pied comme les soldats, portant un sac et mangeant leur pain, je fis les grandes guerres de l’empire tant que l’empire fut debout. — Ah ! si vous saviez comme je me sentis à l’aise dans ces fatigues inouies ! Comme j’aimais cette obscu-