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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

aimer la campagne ; il lui était utile même d’avoir cette santé frêle, ennemie de la bonne chère, ne sollicitant jamais aux distractions. Ses migraines, il nous l’apprend, l’obligeaient souvent à des jeûnes de trente et quarante heures continues. Son sérieux habituel, plus voisin de la mélancolie que de la gaieté, n’avait rien de songeur, et n’allait pas au chagrin ni à la bizarrerie. Une conversation gaie lui revenait fort par momens, et on aurait été près alors de le loger dans la classe des rieurs. Il se sentit toujours peu porté aux mathématiques ; ce fut la seule science qu’il n’aborda pas et ne désira pas posséder. Elle absorbe en effet, détourne un esprit critique, chercheur et à la piste des particularités ; elle dispense des livres ; ce qui n’était pas du tout le fait de Bayle. La dialectique, qu’il pratiqua d’abord à demi par goût et à demi par métier (étant professeur de philosophie), finit par le passionner et par empiéter un peu sur sa faculté littéraire. Il a dit de Nicole et l’on peut dire de lui que « sa coutume de pousser les raisonnemens jusqu’aux derniers recoins de la dialectique le rendait mal propre à composer des pièces d’éloquence. » Ce désintéressement où il était pour son propre compte dans l’éloquence et la poésie le rendait d’autre part plus complet, plus fidèle dans son office de rapporteur de la république des lettres. Il est curieux surtout à parler des poètes et pousseurs de beaux sentimens, qu’il considère assez volontiers comme une espèce à part, sans en faire une classe supérieure. Pour nous qui en introduisant l’art, comme on dit, dans la critique, en avons retranché tant d’autres qualités, non moins essentielles, qu’on n’a plus, nous ne pouvons nous empêcher de sourire des mélanges et associations bizarres que fait Bayle, bizarres pour nous à cause de la perspective, mais prompts et naïfs reflets de son impression contemporaine : le ballet de Psyché au niveau des Femmes savantes ; l’Hippolyte de M. Racine et celui de M. Pradon, qui sont deux tragédies très achevées ; Bossuet côte à côte avec le Comte de Gabalis ; l’Iphigénie et sa préface qu’il aime presque autant que la pièce, à côté de Circé, opéra à machines. En rendant compte de la réception de Boileau à l’Académie, il trouve que « M. Boileau est d’un mérite si distingué qu’il eût été difficile à MM. de l’Académie de remplir aussi avantageusement qu’ils ont fait la place de M. de Bezons. » On