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velles de la république des lettres. Pendant deux cents ans, les journaux, comme une plante parasite, s’attachèrent donc aux livres, y plantèrent leurs racines, et y puisèrent toute leur sève. Vers la fin du dernier siècle, les Revues, en donnant plus d’étendue à leurs articles, introduisirent un genre nouveau ; et, chemin faisant, elles ont fini par abandonner les livres, pour vivre de leur vie propre ; elles se sont faites livres elles-mêmes. La presse périodique a pris tellement pied dans la littérature, qu’on se plaint même qu’elle étouffe un peu trop cette presse des livres, qui l’a précédée de si loin, et qui l’a si long-temps nourrie. Aujourd’hui les Revues les plus favorisées du public ont délaissé le soin d’annoncer les ouvrages, et se composent presque entièrement d’articles originaux. Il semble enfin, au dire de leurs flatteurs, que ces recueils ne sont devenus attrayans que depuis qu’ils ont renoncé totalement à leur ancienne méthode.

Cependant, tout en conservant le caractère nouveau que les Revues ont pris depuis quelques années, ne pourraient-elles pas au moins garder quelque trace de leur origine ? La critique des livres n’est-elle pas chose profitable et même nécessaire au public ? Ce livre collectif qu’on appelle aujourd’hui Revue rend-il inutile et sans intérêt la connaissance sommaire des autres productions de l’esprit ? et n’y a-t-il pas un notable dommage à ce que les voies de communication dans le domaine de l’intelligence soient moins bien entretenues qu’elles ne l’étaient autrefois ? La meilleure Revue, suivant le plan aujourd’hui à la mode, ne met son lecteur en communication qu’avec un nombre très limité d’écrivains ; or, que dirait-on de la plus belle route du monde, lors même qu’elle passerait par les cités les plus florissantes, si elle était sans embranchement avec les autres routes qui s’étendent dans les diverses parties d’un grand territoire, et y font circuler partout la vie et la richesse ?

La Revue des Deux-Mondes n’a certainement jamais négligé la critique. On peut dire au contraire que c’est dans ce recueil qu’a grandi et s’est développé le genre de critique qui convient aux œuvres nouvelles de l’art et au mouvement intellectuel de notre époque. La critique, telle qu’on la connaissait à la fin du xviiie siècle et sous l’empire, n’était plus viable après le mouvement de crise et de renouvellement qui s’est fait sentir il y a quelques années ; il en fallait une autre, assez novatrice, assez affranchie des vieux préjugés, et en même temps assez féconde et assez riche de son propre fonds, pour n’être pas récusée par les artistes, et pour lutter dignement contre leurs tendances ou les appuyer au besoin. Donner au public des informations utiles était le moindre des services que l’on pût rendre à l’art, quand il s’agissait d’initier le public à des œuvres