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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/585

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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

d’Horace et de Cicéron ne nourrissait que des hommes faibles, incapables de se régénérer et de s’affranchir. Quelques Normands, revêtus d’armures comme d’une écaille, ayant de longues lances et des casques pointus, suffirent pour changer, en moins de cinquante ans, cet état de choses, et pour amener l’unité politique de cette moitié de l’Italie. Est-il étonnant que cette terre reconnaissante leur ait plus tard donné le Tasse pour chanter leur gloire dans les croisades ? Chanter leurs exploits, n’était-ce pas chanter sa délivrance ?

Les Normands furent vraiment l’instrument le plus actif de la formation de l’Europe au moyen-âge. Ils semblent fondre du Nord pour détruire l’Europe, et la Providence veut que ce soit eux qui en achèvent la construction et l’unité. Ils viennent les derniers des Barbares à la curée, et ils se trouvent venus à point pour repousser définitivement les Sarrasins. Ils se jettent en loups furieux sur les restes de la civilisation romaine, et l’Église les emploie comme elle avait autrefois employé les Francs ; elle s’en sert et les discipline ; ils deviennent son escorte et ses missionnaires, et c’est par eux qu’elle parvient à réunir l’Europe dans les croisades.

Et ce qui est remarquable, ce n’est pas seulement de voir la Providence faire tourner au bien ce qui semblait ne pouvoir engendrer que le mal, mais c’est encore de la voir produire par les mêmes ressorts des effets si différens. Les Normands, sauveurs de la chrétienté, suivaient précisément le même instinct que lorsqu’ils venaient, païens, attaquer la chrétienté. Une admirable simplicité dans les moyens employés par la Providence s’observe dans l’histoire comme dans la nature. Si, dans le spectacle du monde physique, on admire à chaque pas l’unité au sein d’une variété infinie de phénomènes, si l’on a pu dire de la nature qu’elle est uniforme en tous ses actes et toujours semblable à elle-même, ne doit-on pas dire la même chose de l’acte divin qui pousse l’humanité dans sa route, quand on voit les mêmes causes produire des effets si divers, les mêmes passions, les mêmes instincts accomplir successivement les différentes destinées qui, réunies et ajoutées bout à bout, élèvent dans le temps un monde tout aussi réel, tout aussi varié et tout aussi un, que le monde qui se dresse devant nous dans l’espace ? Le mouvement des Normands qui nous occupe eut lieu sans interruption du viiie siècle au xiie. Pendant ces quatre siècles, rien de plus changeant en apparence que les mœurs de cette nation, qui, de dévastatrice et d’errante, se fait rapidement stationnaire, et presque à l’instant même redevient conquérante, sans quitter cette fois ni ses anciens ni ses nouveaux établissemens. Les